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Paru en 2002 aux États-Unis et en 2006 en France, la Tour de Babylone retrouve toute son actualité avec la récente adaptation cinématographique d'un de ses textes constitutifs : "l'Histoire de ta vie".

Rebaptisé Premier contact (Arrival en VO),⁽¹⁾ le film réalisé par le Québécois Denis Villeneuve est aussi fidèle à la nouvelle dont il s'inspire que peut l'être une production hollywoodienne. Il y a ainsi quelques différences mineures, mais évidentes, à commencer par le prénom de Donnelly le physicien devenu Ian dans le film au lieu de Gary dans la nouvelle.

On retrouve cependant, sur grand écran, le thème principal du texte d'origine, ce premier contact avec une civilisation extraterrestre, les mystérieux heptapodes, qui est abordé par le biais du langage forcément étranger de ces visiteurs. À cette rencontre du troisième type s'ajoute, dans le long-métrage, les flashes que connaît Louise Banks, experte en linguistique comparée, personnage principal du film qui est également la narratrice de la nouvelle. Alors que le réalisateur joue avec la nature de ces fulgurances laissant penser qu'il peut s'agir de souvenirs oubliés comme de prémonitions incompréhensibles, le nouvelliste fait œuvre de beaucoup plus de subtilité et intègre totalement les “souvenirs” de Louise à son récit.

Bien évidemment, le texte conserve une profondeur et une intensité que la mise en images ne parvient pas à éclipser. Plus d'un exégète a mis en avant l'influence de l'hypothèse de Sapir-Whorf sur la nouvelle de Ted Chiang. Cette thèse, développée par les anthropologues américains Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, soutient que la perception du monde dépend du langage. C'est ainsi qu'en décryptant la langue des mystérieux visiteurs extraterrestres, Louise Banks acquiert tout naturellement la capacité de voir l'ensemble de sa vie hors de toute linéarité.

Simplifiant sensiblement le propos du nouvelliste, le film de Villeneuve a le bon goût de respecter l'esprit du texte d'origine, même s'il n'en suit pas la lettre. Il propose une explication à la venue des heptapodes sur Terre qui n'existe pas dans la nouvelle. Il ajoute également une dimension internationale, notamment à travers le personnage du général Shang, chef belliqueux des armées chinoises. La force du long-métrage est d'offrir une histoire rythmée et prenante, non linéaire comme "l'Histoire de ta vie", avec des effets spéciaux convaincants qui participent à la narration sans la phagocyter pour autant. Les sémagrammes de la nouvelle sont ainsi agréablement traduits à l'écran par des cercles d'encre flottant sur un mur de verre.

Œuvres forcément différentes, la nouvelle et son adaptation se révèlent presque complémentaires. La vision du film donne envie de découvrir le texte original de Ted Chiang, et, malgré les quelques différences existant entre les deux supports, la lecture de "l'Histoire de ta vie" apporte des éléments de compréhension supplémentaires au long-métrage.

Récompensée par le prix Theodore Sturgeon en 1999 et par le prix Nebula en 2000, "l'Histoire de ta vie" est certainement l'une des meilleures nouvelles de la Tour de Babylone. "Soixante-douze lettres", "l'Enfer, quand Dieu n'est pas présent" et les cinq autres textes proposés n'en restent pas moins dignes du plus grand intérêt comme cela a été mis en évidence par Pascal J. Thomas dans une précédente chronique de cet ouvrage. Leur lecture terminée, on ne peut que regretter que la production littéraire de cet auteur exigeant et trop rare qu'est Ted Chiang ne soit pas plus abondante.