KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Hervé Poudat : Larmes noires

roman de Science-Fiction, 2016

chronique par Philippe Paygnard, 2017

par ailleurs :

Lorsqu'un tsunami dévaste la côte méditerranéenne, la situation est dramatique. Mais quand ce sont des sortes de mini trous noirs qui dévorent des pans entiers de terre à travers tout le pays, là c'est catastrophique. Et si le mal gagne toute la planète, cela devient définitivement apocalyptique. C'est dans ces circonstances qu'Aemilia et les membres de la Confrérie des Logues démontrent toutes leurs capacités à organiser la survie d'un groupe dans un monde en pleine déliquescence où la plupart des survivants retournent à la barbarie la plus totale.

Deuxième roman d'Hervé Poudat après la Transhumance des anges, également connu pour ses talents de scénariste de bandes dessinées, Larmes noires entraîne ses lecteurs au cœur d'une fin du monde plutôt originale. En effet, le romancier ne fait pas le choix de la facilité : il délaisse les classiques catastrophes naturelles, les Armageddons nucléaires et les apocalypses zombies, pour démanteler le globe par petits bouts. Une matière sombre dévore toutes les terres avec lenteur, mais détermination, laissant persister des îlots où s'accrochent et s'organisent les derniers survivants.

Si cette fin du monde peu commune peut surprendre, il en est de même de la narration totalement déstructurée choisie par Hervé Poudat pour la chroniquer. Les différentes Larmes qui composent son roman se succèdent ainsi, sans respecter la chronologie temporelle, jusqu'à l'épilogue qui apporte un éphémère bonheur conclusif. Ces allers-retours entre le présent, le passé proche et le passé — mais pas le futur car le monde de Larmes noires n'a pas d'avenir — sont suffisamment bien conçus pour que toutes les questions que peuvent se poser les lecteurs trouvent leur réponse en temps et en heure. Il faut cependant rester attentif aux indices que sème le romancier au fil de son récit.

Tout comme dans ses bandes dessinées, il n'y a pas vraiment de héros ou d'héroïne dans le roman d'Hervé Poudat. Il y a des personnages qui, loin d'être monolithiques, se révèlent pleins de failles et de contradictions. C'est bien évidemment le cas d'Aemilia qui, par son courage et sa détermination, parvient, avec l'aide de trois fidèles compagnons, à créer une petite communauté de survivants totalement fonctionnelle en imposant des règles implacables. Ainsi, au sein du Domaine des quatre Logues, les femmes en âge de procréer sont incitées à la stérilisation et celles qui tombent enceintes sont condamnées à l'exil, ce qui correspond à une condamnation à mort dans ce monde rongé par le Mal noir. Pourtant, lorsqu'elle-même apprend qu'elle attend ce qui s'appelait, il y a peu, un heureux événement, Aemilia refuse l'avortement et fuit le groupe pour tenter sa chance sur un autre bout de la peau de chagrin que devient la France.

Autour du centre d'attraction que représente Aemilia gravite toute une galerie de protagonistes surprenants et souvent attachants. On découvre ainsi l'adjudant Chris qui pilote l'hélicoptère reliant les pièces éparses du puzzle qui constitue le Domaine des quatre Logues. Il y a aussi Rob qui a perdu Agathe, l'amour de sa vie, mais a gagné l'amour pur de sa fille d'adoption, la petite Fleur, pour laquelle il est prêt à tous les sacrifices. Quant à Yann le vétérinaire obsédé par la survie des gènes animaux et humains, il joue un rôle important dans l'inévitable chute des Logues. Mais il n'en reste pas moins que tous ne sont que des survivants dans un « monde [qui] n'est plus qu'une date de péremption dépassée depuis des lustres » et dont la fin, de plus en plus proche, est inéluctable. C'est d'ailleurs le portrait de ces différents personnages, avec leurs qualités et leurs défauts, qui confère toute sa force et son intérêt aux Larmes noires d'Hervé Poudat.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 81, décembre 2017

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