Joe Hill : l'Homme-feu
(the Fireman, 2016)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
L'épidémie frappe les États-Unis et le monde tout entier. Cela commence comme un simple hématome qui se transforme en tatouages mordorés recouvrant le corps des infectés. Cette première étape est suivie par un embrasement du malade, une auto-combustion contre laquelle les autorités sanitaires n'ont aucun remède. Infirmière, Harper Grayson a côtoyé de près la maladie, de trop près sans doute puisqu'elle aussi a été infectée, et la voici seule, enceinte, traquée par Jakob, son ex, qui croit, à tort ou à raison, avoir été contaminée par elle.
Après NOSFERA2, où Joe Hill s'aventurait sur des terres fantastiques déjà arpentées par son célébrissime père, l'auteur du Costume du mort (2007) et de Cornes (2010) se lance dans un roman-fleuve apocalyptique qui fait irrésistiblement songer au Fléau (1978) du King de l'horreur. Le point commun évident entre les deux œuvres est cette infection qui décime la population. Chez Stephen King, il s'agit du virus de la super-grippe échappé d'un laboratoire top secret, alors que pour Joe Hill, on a affaire à une spore, draco incendia trichophyton, plus communément appelée l'Écaille du Dragon. Les deux récits montrent la rapide déliquescence de la société américaine mise à mal et vaincue par une épidémie. Mais là où Stephen King offrait à lire un livre choral, Joe Hill s'intéresse tout particulièrement au destin de Harper. C'est à travers sa fuite et ses rencontres que l'on visite ce monde frappé par une maladie qui décime l'Humanité.
Tout comme son paternel, Hill donne un aspect mystique à cette aventure. Certes, Jakob n'est pas Randall Flagg, ni une quelconque incarnation de l'Homme en noir, mais un peu à la manière de la communauté de Mère Abigail dans le Fléau, Harper trouve refuge auprès du Père Storey dans son camp de vacances reconverti en abri pour les infectés. Les prêches quotidiens de ce patriarche semblent avoir un réel effet sur la maîtrise de l'Écaille du Dragon puisqu'aucun de ses fidèles ne s'est enflammé. Au lieu de prendre feu, ils s'illuminent d'une étrange Clarté.
Maîtrisant totalement son récit, Joe Hill s'amuse régulièrement à jouer les fils du King à travers des références plus ou moins évidentes. Plusieurs héros de l'Homme-feu ont ainsi des noms ou des prénoms qui rappellent ceux de personnages du Fléau. Il y a Nick, l'un des jeunes pensionnaires du Camp Wyndham, dont la surdité fait écho à celle de Nick Andros, l'un des survivants de la super-grippe. Le triste destin de Harold Cross est conté au chapitre 9 de la seconde partie de l'Homme-feu. C'est son carnet secret qui permet à Harper de mieux appréhender le mal qui la touche. Le nom de Harold Cross apparaît comme un intéressant mélange entre ceux de Harold Lauder et de Nadine Cross, deux des fidèles de Randall Flagg dans le Fléau.
Ces quelques exemples prouvent que le fils ne renie nullement le père et au contraire joue de ce qui pourrait être une écrasante filiation. Il livre ainsi une œuvre qui nous faire suivre une fin du monde au quotidien, lorsque les téléphones portables ne trouvent plus leurs correspondants et que la page de recherche de Google ne dit plus qu'un mot : adieu. Une apocalypse banale où des milices de citoyens surarmés pourchassent les infectés et s'enorgueillissent de leur tableau de chasse autour d'un whisky ou d'une bonne bière.
Au-delà des références familiales, ce roman ayant pour thématique le feu, à travers la spore draco incendia trichophyton, tout lecteur normalement constitué ne peut que penser, même de manière éphémère, à Fahrenheit 451 (1953). Dans ce roman-culte de Ray Bradbury, au lieu d'éteindre les incendies, des pompiers, traquant sans relâche toute trace de culture écrite, allument des autodafés. C'est l'image de ces soldats du feu pyromanes qui s'impose à chaque fois que l'on aperçoit le mystérieux John Rockwood, toujours vêtu d'un uniforme de pompier, armé de sa barre Halligan. Le personnage de John, le seul qui maîtrise le mal qui le frappe en étant capable de créer des flammes sans se consumer, n'est d'ailleurs pas sans rappeler les Human Torches et autres ardents super-héros ou super-vilains des comic books.
Découpé en neuf parties, l'Homme-feu progresse doucement, au fil de chapitres plus ou moins longs qui permettent de partager les réflexions de Harper et de participer avec elle à l'action de ce roman-fleuve. À l'instar de son père, Joe Hill sait parfaitement capter l'attention de ses lecteurs et la conserver tout au long du récit qui suit les neuf mois de grossesse de Harper.
Un petit mot sur le titre de l'ouvrage, the Fireman en original, qui aurait très bien pu être littéralement traduit le Pompier. Cette version aurait alors été en totale adéquation avec la tenue de John Rockwood, mais l'Homme-feu lui convient tout aussi bien. À noter que la version espagnole du roman de Joe Hill chez Nocturna va au plus simple avec un Fuego du plus bel effet.
Se nourrissant de diverses influences issues de la littérature et de la culture populaire, Joe Hill impose sereinement sa voix à travers des œuvres originales, à l'image de cette variation sur le thème de la fin du monde.
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