Léo Henry : Philip K. Dick goes to Hollywood
nouvelles uchroniques, 2015
- par ailleurs :
Ce petit livre ne se vend ni ne s'achète (ou alors, sur eBay ou leboncoin, que puis-je en savoir). Il était donné aux fidèles acheteurs d'ActuSF, au nombre desquels j'aurais bien de la vantardise à me compter, ne possédant qu'un bien modeste nombre des cent ouvrages dont celui-ci célébrait la parution. Précisons bien que c'est le manque de temps pour lire qui me retient, plus que le manque de goût pour les publications ActuSF, qui sont d'excellente tenue.
De Léo Henry, je n'ai lu que peu, mais du frappant. Disons-le tout de suite, ce recueil l'est moins. Écrit en français en dépit de son titre, il n'est sans doute pas, toutefois, représentatif de l'œuvre de l'auteur. J'y vois une agréable fantaisie, marquée par une certaine facilité.
Je m'explique. Il y a un plaisir propre à l'uchronie, qui est celui du name dropping façon tapis de bombes. Donnez-vous la liberté de récrire et de recombiner les événements connus, et vous pouvez mettre en scène la rencontre des personnalités de votre choix : c'est à cet exercice que se consacre l'essentiel de ce recueil, complété par un pseudo-entretien fondé sur un retournement de point de vue qui fait sourire pendant deux pages, et un amusant et instructif “abécédaire” des éditions ActuSF. Parmi les cinq nouvelles,(1) "No se puede vivir sin amar" sort un peu du lot, étant centrée sur la figure d'un personnage de fiction plutôt que d'une célébrité du xxe siècle. En cela, elle relèverait du steampunk, même si la figure en question n'est pas tirée de la littérature populaire du xixe siècle. Hélas, le fumet de sa chute est vite éventé par l'accumulation de références révélatrices.
Les quatre autres, consacrées respectivement à Philip K. Dick correspondant avec David Lynch à propos de l'adaptation de Do androids dream of electric sheep?, à une entrevue avec un John Lennon âgé sur sa relation avec Lemmy Kilmister au sein des Beätles, à une brève recension des Règles de la nuit, film de Jean Vigo et Dziga Vertov, et à une sorte de biographie tragique et fantasmatique de Bobby Fischer.
La jubilation du lecteur viendra de l'accumulation et du mélange de références exactes et apocryphes, ou outrageusement sorties de leur contexte. C'est l'occasion pour l'auteur et le lecteur de communier dans la célébration de leur érudition et de leur bon goût. Oui. Il semble que de nos jours Motörhead ait basculé du côté du bon goût : hélas, pauvre Lemmy, si tu voyais ça ! J'attends avec effroi l'hommage de Télérama.(2) Le plaisir suppose une préalable communion culturelle. Tout dépend donc du lecteur. Pour moi, ça a très bien marché avec Philip K. Dick (même si je n'ai finalement pas vu beaucoup de films de Lynch) ; du tonnerre aussi pour les Beatles et Motörhead, tout en me disant qu'il n'était sans doute pas essentiel de nous renseigner sur la liste des titres de chaque album du combo recombiné avec son heavy metal umlaut ; mais pas du tout pour les cinéastes des années 30. Effet de complicité dans les deux premiers cas, de crasse ignorance dans le troisième. Le récit échiquéen mitige cette conclusion ; j'avais comme tout le monde entendu parler du match Fisher-Spassky, mais ma connaissance des échecs est proche de zéro, et pourtant, les perspectives intellectuelles ouvertes par certaines des descriptions lâchées au détour du récit ont suffi à m'accrocher, plus que la plongée dans les dérives psychotiques de Bobby Fisher.
Conclusion ? Si vous tombez sur ce livre, vous aurez entre les mains une œuvre légère, composée sans doute rapidement par un écrivain à l'indéniable savoir-faire, dispensable et euphorisante à la fois.
- La version électronique de 2017 en ajoute une sixième, "Waffen SF", et élimine l'entretien et l'abécédaire. — Note de Quarante-Deux.↑
- Nous y sommes peut-être déjà, à vrai dire…↑
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