Frédéric Landragin : Comment parler à un alien ?
essai sur langage et linguistique dans la Science-Fiction, 2018
Un meilleur titre pour ce livre serait peut-être Tout ce que l'auteur de SF devrait savoir sur la linguistique avant d'en parler. Mais l'auteur du présent ouvrage n'aurait jamais, lui, adopté un ton aussi pédant ! À l'image de Roland Lehoucq — directeur de "Parallaxe", cette nouvelle collection de vulgarisation scientifique liée à la SF sous l'égide du Bélial’.
Que trouve-t-on donc dans ce livre ? Un aller-retour entre description de la linguistique à l'intention des profanes, illustrée d'exemples souvent exotiques et amusants, et l'étude d'un certain nombre d'œuvres de SF qui ont fait du langage une question centrale de leur propos. Landragin parle de temps en temps de “linguistique-fiction”. Le corpus est nécessairement réduit, le but de l'auteur n'étant pas un traitement encyclopédique du thème, ni de multiplier les exemples d'ignorance ou de maladresse des auteurs en matière de langue — et on sait certains Américains, redoutables monolingues, capables de bourdes énormes en la matière. Au contraire, sont citées ici de façon répétée un petit nombre d'œuvres de grande qualité : "l'Histoire de ta vie" de Ted Chiang,(1) l'Enchâssement d'Ian Watson, Babel-17 de Samuel R. Delany, 1984 de George Orwell, les Langages de Pao de Jack Vance… tandis que bien d'autres sont évoquées pour illustrer un point ou un autre.
Le livre est organisé en cinq chapitres, le premier donnant des exemples de linguistique-fiction, comme une sorte d'accroche destinée à motiver le lecteur pour le voyage en linguistique, les numéros 2 et 4 sont plutôt de la vulgarisation des concepts et questions de la linguistique, tandis que le 3 est consacré aux langues artificielles, qui pourraient servir (entre autres outils) au but décrit dans le 5 : communiquer avec des extraterrestres. Exercice dont la difficulté est souvent sous-estimée par la fiction, quand on compare aux exemples tirés du monde réel que sont le décodage (souvent impossible) des écritures retrouvées par l'archéologie, ou la communication avec des membres de tribus restées coupées du reste du monde.
S'il n'écrit pas de façon aussi distrayante que Lehoucq, Landragin est éminemment lisible, et ce livre est une synthèse bienvenue, qui pose bien les rapports entre linguistique et Science-Fiction. Je n'y ai pas fait de découverte majeure, mais y ai appris une foule de détails que je ne connaissais pas. Je n'ai trouvé qu'une erreur majeure (sans doute un copié-collé pas relu !), un passage cité p. 87 pour illustrer le fait que « le catalan est sans doute la langue écrite la plus proche du français »
(2) est en fait… en espagnol (ou en castillan, si vous voulez). Raté ! comme dirait Landragin lui-même, et je ne lui conseille pas de montrer son livre à un nationaliste catalan susceptible (heureusement pour lui, il n'y en a guère). Ce qui est triste et drôle dans l'erreur, c'est que l'espagnol est, justement, plus éloigné du français que ne l'est le catalan. J'aurais aussi quelques reproches de faible intensité, comme sur l'affirmation p. 94 qu'astronef ou spationef sont arrivés pour prendre la place du spacecraft anglais — ce dernier terme me paraît rare, comparé aux bien plus fréquents spaceship ou starship ; ou sa définition du terme serendipity. Broutilles. Je suis aussi légèrement gêné que les œuvres étrangères, pour la plupart anglophones à l'origine, donc accessibles dans le texte à la majorité des lecteurs, soient sans cesse citées en traduction : pour des questions fines sur la langue, on ne sait plus ce qui est analysé, le travail de l'écrivain ou celui du traducteur.
Mais j'admire beaucoup le travail de documentation de Landragin, qui a visiblement beaucoup lu — le volume se conclut par des notes abondantes, une bibliographie et un index, auxquels il faudra que je revienne. Il y a des sources auxquelles je devrai retourner m'abreuver, comme Science fiction et didactique des langues, actes de colloque dirigés par Yves Bardière, Estelle Blanquet et Éric Picholle,(3) et les Langues imaginaires de Marina Yaguello, abondamment cité dans l'ouvrage. Autant dire que Comment parler à un alien ? fonctionne comme un très bon manuel : il ouvre la porte d'un domaine et donne envie d'explorer plus loin.
- Dans le recueil la Tour de Babylone.↑
- Déjà, je dirais personnellement que l'occitan est sûrement plus proche du français que ne l'est le catalan, mais Landragin lui refuse peut-être le statut de langue séparée, ou de langue écrite.↑
- Avec "Langues et formes de vie extraterrestres", un superbe article de Jean-Luc Gautero (dixit Landragin).↑
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