Pas de vérité sans fiction !
éditorial à KWS 84, avril 2019
Longtemps, je me suis levé de bonne heure. Mes parents imposaient un couvre-feu précoce aux bambins que nous étions, et dès vingt heures nous avions la tête sur l'oreiller. Corollaire : vers six ou sept heures du matin, les yeux comme des soucoupes, je hantais le salon familial en quête de distractions. Je savais lire, il n'y avait pas de BD dans la maison, mais mon père était abonné à Sciences et avenir, que je dévorais pendant ces petites heures, à quatre pattes sur le tapis, la tête calée contre un quelconque fauteuil. Parti au fin fond de l'Afrique, dans les mystères de la matière, ou dans l'espace. Surtout dans l'espace, en cette époque de course à la Lune entre USA et URSS. Mais en quête de cette vérité précise sur le monde que seule la science pouvait me donner — pas de vérité sans science !
Quand je retombe aujourd'hui sur d'anciens numéros de Sciences et avenir, je me rends compte à quel point son programme affiché de vulgarisation scientifique frisait la Science-Fiction. L'époque était à l'optimisme technologique ― on dit que la peur de l'atome date de 1945, mais si on pouvait avoir peur de la guerre dans les années 1960, on n'avait pas peur de la technologie. Et l'intérêt pour les découvertes scientifiques ou techniques était nourri par la confiance dans un avenir radieux, généreusement exagéré — pas de science sans fiction !
J'ai depuis longtemps cessé de lire avec la moindre régularité la presse de vulgarisation scientifique, ou d'écouter les media ou de consulter les sites dédiés au sujet. Le mince supplément hebdomadaire d'un grand quotidien parisien suffit à ma modeste consommation. Pourtant, j'ai toujours une grande admiration pour la corporation des journalistes scientifiques : ils dansent sur le fil du rasoir de la connaissance. Comme des journalistes, ils doivent écrire sur des sujets qu'ils ne comprennent pas pour un lectorat qui les comprend encore moins. Et préserver la part de rêve, de spéculation, de projection, qui accrochera l'intérêt de leur lectorat ― pas de science sans fiction. Pourtant, leur devoir scientifique, surveillé bien plus pointilleusement en notre société du contrôle de qualité, est de ne pas quitter d'une semelle les faits avérés ― pas de science sans vérité. Et si possible, d'emballer tout ça avec humour et style, et en 2500 signes, s'il vous plaît. Enfui le temps où je me levais : je m'incline, et je leur dis merci.
P.S. : le cancer du pancréas, me dit mon médecin, est un des plus difficiles à diagnostiquer à temps, et son pronostic est souvent fatal. En février dernier, ce pronostic a été annoncé à Vonda N. McIntyre, que vous connaissez sûrement pour le Serpent du rêve, la Lune et le Roi-Soleil, et ses contributions à l'univers de Star trek. Elle vient de décéder début avril, après avoir réussi à terminer Curve of the world, le roman qu'elle avait en cours. Chapeau bas. Et merci à sa voisine du dessous et amie de longue date, qui l'a accompagnée dans ses dernières semaines : Jane, une fan de SF distinguée, qui occupera toujours une place de choix dans mes souvenirs.
Commentaires
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.