KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

les Indés de l'Imaginaire : 100 raisons d'aimer l'Imaginaire

Textes d'Étienne Barillier, André-François Ruaud, Jérôme Vincent & Frédéric Weil

essai, 2018

chronique par Pascal J. Thomas, 2019

par ailleurs :

Alors, c'est fourre-tout, pêle-mêle, et ça l'assume. Vais-je dénouer l'écheveau ? Pas la moindre chance, mon brave. Mais on en dira deux mots.

"Hélios" est une collection de poche lancée par trois petits éditeurs (qui préfèrent se décrire comme moyens) de notre domaine, ActuSF, Mnémos et les Moutons électriques. Notre domaine, autant dire Science-Fiction, Fantasy et Fantastique, avec tous les embranchements inclus ; nos respectables (si, si) éditeurs adoptent le terme “Imaginaire” ; on les suivra. Cet opuscule est sorti pour célébrer le numéro 100 de l'entreprise partagée, qui marche bien, ce dont on ne peut que se réjouir.

Vous diront-ils ce qu'est l'Imaginaire ? Oui, par énumération : un portrait pointilliste qui émerge de la somme des coups de cœur, et d'une longue liste de références (entre trois et une douzaine pour chacun des cent chapitres/pages). Analyseront-ils, classeront-ils ? Jamais ! Ils vont même jusqu'à se répéter, essentiellement, entre des chapitres comme le 75 (Pour son rapport au récit d'enfance) et les 88 & 89 (Pour Peter Pan et Pour Alice respectivement), ou le 31 (Pour ses religions) et le 57 (Pour son inventivité en matière de religions et de dieux) — la distinction étant que le 31 est surtout consacré à des variations sur le christianisme, qui affirme une spécificité qui n'est pas surprenante pour un domaine qui demeure en grande majorité marqué par ses origines dans la culture occidentale, même si le livre souligne par ailleurs en 35 la capacité dudit domaine à s'implanter un peu partout dans le monde (Pour voyager dans les imaginaires d'autres cultures humaines…).

Plus souvent les redoublements, s'ils restent répétitifs, semblent un peu plus planifiés, en ce sens qu'ils sont consécutifs et me paraissent une façon de passer un peu plus de temps sur un sujet important, ainsi écartelé sur deux chapitres de façon plus ou moins arbitraire. Parfois, j'ai eu du mal à suivre les auteurs dans leurs affirmations ; ainsi du chapitre 36 (Pour tous ces classiques qui sont classés désormais dans la littérature générale), qui liste De la Terre à la Lune, 1984, la Route, le Géant enfoui, la Planète des singes, Ravage et la Guerre des mondes. Le premier et le dernier ont été écrits à une époque qui n'ostracisait pas la SF ; les autres viennent d'auteurs qui relèvent, par leur carrière précédente, par leurs lieux de publication, de cette fameuse littérature “générale” — pas nécessairement toujours intellectuelle ou destinée aux happy few. Dans le corps du texte est cité le seul exemple qui justifie le “désormais” du titre, un auteur passé des pulps à la consécration académique : Ray Bradbury. Il y en a eu et il y en aura d'autres — je pense à Antoine Volodine —, mais autant la séparation entre œuvres “de genre” et les autres est un phénomène mouvant et complexe, autant il importe de ne pas le minorer ou le représenter faussement. Et finalement, le chapitre 36 ne se distingue guère du 37 (Pour la fascination que le genre exerce sur la littérature).

Dans le cadre de la présente déclaration d'amour, peu importe, évidemment. Les auteurs accumulent leurs admirations — côté individus : J.R.R. Tolkien, Philip K. Dick, Isaac Asimov, H.P. Lovecraft, Stephen King, Ursula K. Le Guin, J.K. Rowling, H.G. Wells, Terry Pratchett ; côté catégories : beaucoup de tout, en commençant par la Fantasy, mais avec un retour vigoureux de la SF au bout d'une vingtaine de chapitres, et sans oublier l'humour — devinez à qui est consacré le chapitre 42 ? Les chapitres les plus agréables sont sans doute les plus excentriques : les cartes blanches laissées à quatre journalistes reconnus,(1) ou cet étonnant chapitre 44 (Pour le FBI, quand il enquêtait sur les auteurs de Science-Fiction), par exemple, même s'il omet l'épisode le plus intéressant, celui des questions posées à John W. Campbell, Jr. pendant la guerre parce que ses auteurs semblaient trop bien informés sur les armes atomiques, que le gouvernement croyait secrètes.

C'est vite écrit — on ne retrouve guère par exemple le style recherché dont André-François Ruaud peut faire preuve par ailleurs —, mais ça a le côté brut de la vie, de l'action admirable. Pris à petites doses, c'est source de plaisir.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 85, août 2019


  1. Jean-Claude Vantroyen, Nicolas Martin, Hubert Prolongeau & Michel Dufranne disent dans les chapitres 90 à 93 pourquoi ils aiment l'Imaginaire.

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