KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Martha Wells : Défaillances systèmes (Journal d'un AssaSynth – 1)

(the Murderbot diaries – 1: All systems red, 2017)

court roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Paygnard, 2019

par ailleurs :

Il/elle est une SecUnit, affecté(e) à la protection d'une équipe scientifique chargée de l'exploration et de la cartographie d'une nouvelle planète. Il/elle n'est qu'une simple machine aux yeux de la plupart des humains, voyageant en soute et relié(e) aux autres réseaux informatiques. Il/elle est suffisamment armé(e) pour affronter les créatures qui habitent le monde que les explorateurs découvrent jour après jour. Mais que se passe-t-il lorsque, l'un après l'autre, les différents systèmes se mettent à connaître d'étranges défaillances ?

Avec ce court roman, premier volet d'une série, Martha Wells ne perd pas son temps à décrire le futur où se situe l'action de Défaillances systèmes ; la romancière nous plonge directement dans la tête de son héros, AssaSynth. Androïde de sécurité composé d'éléments mécaniques et de parties biologiques clonées, cette machine devrait être soumise à son module superviseur. Mais il/elle a réussi à hacker cet instrument de contrôle, gagnant une certaine autonomie qui lui permet, notamment, d'apprécier les films et feuilletons qu'il/elle a téléchargés à la place de nouvelles mises à jour dans ses unités de sauvegarde. Cette semi-liberté ne l'empêche nullement de faire son travail de garde du corps et lui donne l'occasion de s'interroger sur l'origine des dysfonctionnements que connaissent les différents systèmes informatiques de l'équipe scientifique du docteur Mensah.

Le choix d'une narration à la première personne, conté par la SecUnit hackeuse et hackée, procure au récit une réelle intensité et le rend totalement immersif. C'est par ce biais que Martha Wells nous fait suivre l'évolution de cette SecUnit libérée de tout contrôle qui assure ses fonctions de sécurité de manière routinière, presque automatique, avec détachement et indifférence vis-à-vis des humains qu'il/elle protège. Dissimulant le visage qu'on lui a donné derrière la visière opaque de son armure, l'androïde évite de se mêler aux scientifiques et de s'intéresser aux affaires de ses compagnons humains, hormis pour leur protection. Telle est la philosophie de base de cette machine qui, pourtant, passe son temps libre à mater des feuilletons à l'eau de rose. Cependant, au fil des pages, l'AssaSynth ne peut s'empêcher d'apprécier les différents membres de l'équipe du docteur Mensah pour leurs qualités et leurs défauts humains. Grâce au libre arbitre que lui procure l'absence de module superviseur, le robot à forme humaine devient lentement mais sûrement de plus en plus proche d'un authentique être humain.

À travers les réflexions de l'AssaSynth, Martha Wells interroge sur la conscience de soi, la liberté individuelle et le regard des autres. L'aspect exploration spatiale du récit ne sert finalement que de décor permettant de décrire l'évolution de l'androïde qui se révèle plus humaniste et sans aucun doute plus humain que certains des hommes et des femmes qu'il/elle croise.

Récompensé par le prix Hugo du meilleur roman court 2018, le prix Nebula du meilleur roman court 2017 et le prix Locus du meilleur roman court 2018, Défaillances systèmes se lit à la vitesse de l'éclair grâce à la maîtrise narrative de Martha Wells et à la traduction de Mathilde Montier. Cela laisse alors tout le temps nécessaire pour réfléchir aux questions que pose, un peu malgré lui, cet AssaSynth, à commencer par ce qui détermine la condition d'être vivant dans un monde où l'intelligence artificielle commence à faire pleinement partie du quotidien.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 85, août 2019

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