Anniversaire et enterrement
éditorial à KWS 85, août 2019
Francis Valéry est mort en décembre 2018.
Je vous invite tout de suite à retenir vos cris de joie (honte sur vous) ou de chagrin : il y a de bonnes chances que vous n'ayez pas connu ce Francis Valéry-là. Le vrai Francis Valéry, qui n'a pas écrit de livres, publié de fanzines, ni joué de la basse dans des groupes de rock bordelais. Le vrai Francis Valéry qui a, lui, engendré un fils qu'il a nommé Francis, comme lui. Ils ont longtemps vécu sous le même toit, et comme le fils en grandissant a acquis la même voix que le père, ce dernier s'amusait souvent, quand il décrochait le téléphone et qu'on lui demandait à parler à Francis Valéry, à répondre en toute franchise que c'était lui. Non sans un gloussement intérieur, je parie. À l'interlocuteur de comprendre au bout de quelques instants, et de solliciter la transmission de l'appel à Francis Valéry junior, celui qui écume depuis une quarante-deuxaine d'années le fandom de SF français.
Francis Valéry senior a occupé toute sa vie des emplois qui ont pu ne pas être passionnants, mais ont nourri la famille (épouse, deux fils, de vieux parents et beaux-parents…) et lui ont permis d'acheter une vaste demeure au nord de Saint-André-de-Cubzac, qui aurait aujourd'hui hélas besoin d'être rafraîchie pour retrouver sa splendeur passée. Sa splendeur présente, toutefois, réside pour moi dans les étagères chargées à se rompre des collections de Francis junior. Francis junior, qui n'a pas attrapé le virus de la SF par hasard : son père avant lui était un avide lecteur, acheteur régulier du Fleuve noir › Anticipation et du Club du Livre d'Anticipation. Adolescent, j'avais été fasciné par la révélation que le père de mon copain hippie hirsute était un tel collectionneur, et veillait sur des trésors à l'époque bien hors de portée de mon argent de poche de lecteur boulimique et radin. Francis junior, lui aussi, avait déjà beaucoup lu, et notamment les volumes du trésor familial. Nous commençâmes à bavarder plus souvent…
Au cours des années suivantes, j'ai eu bien des fois l'occasion de croiser Francis senior. Comme son fils, il était gourmand, et friand de blagues, bonnes ou mauvaises. Ses clins d'œil me manqueront.
Anniversaire oblige, on nous parle aujourd'hui beaucoup de juillet 1969. Justement, ça me rappelle… Oui, mes chers jeunes lecteurs, au moindre prétexte je raconte des épisodes poussiéreux de ma longue vie — à vrai dire, c'est la seule utilité de KWS, me permettre de placer tout et n'importe quoi dans les éditoriaux.
Je peux reprendre, maintenant ? En juillet 1969, tout le monde se passionnait pour Apollo 11. En colonie de vacances, on avait eu le droit de se coucher plus tard pour écouter l'alunissage en direct à la radio. Et vers la même époque, Spirou, comme tout le monde, était à fond dans la Lune. Plus que d'autres, peut-être. Je vous en ai touché un mot dans mon éditorial du numéro 78, en 2016. Lassé des avanies de l'achat de l'hebdomadaire au numéro, j'obtins l'autorisation de nous abonner, mon frère et moi. Il fallait à l'époque envoyer un mandat-poste ; nous le fîmes, maladroitement, et fûmes inoculés de ce virus-là pour un certain nombre d'années, par la grâce des frères et sœurs cadets. À nous Yoko Tsuno, et les Petits Hommes, et le Spirou de Fournier, et même — je frémis de l'admettre — Khéna et le Scrameustache. Le Journal de Tintin proposait sans doute une meilleure série de SF, Luc Orient, mais Spirou le battait pour l'humour, et à l'époque nous n'avions pas eu le temps de découvrir Pilote, avec Gotlib et Valérian. Et surtout, Spirou eut un temps une rubrique fanzines, et bien plus tard, en 1977, je fus tout heureux de voir qu'il parlait des premiers numéros d'Ailleurs et autres que nous leur avions envoyés, même si leur avis était plus que tiède — avec raison, reconnaissons-le. Avoir le titre de son fanzine imprimé dans Spirou, c'était un pas de géant pour notre âme de fanzineux.
Quarante-deux ans plus tard, je suis toujours dans la Lune, et KWS n'a pas besoin qu'on en parle pour exister. Et n'envisage aucune éclipse !
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