Un meurtre atroce a été commis à Flint City, dans l'Oklahoma : un jeune garçon a été égorgé et mutilé dans un parc de la ville. Très vite, les témoignages recueillis, les indices découverts et même les preuves ADN, désignent un surprenant suspect, Terry Maitland, professeur apprécié et entraîneur de baseball. Convaincu de sa culpabilité, l'inspecteur Ralph Nelson le fait arrêter en public pendant un match de l'équipe junior. Alors que l'heure du procès approche, Nelson reste persuadé qu'il tient le meurtrier malgré le dossier à décharge constitué par la défense démontrant que l'accusé n'était pas à Flint City le jour et à l'heure du crime. Lorsque Terry Maitland est assassiné par le frère de la victime et que Ralph Nelson est mis en congé administratif pour sa gestion inadéquate de l'affaire, le policier décide de reprendre l'enquête et découvre des éléments de plus en plus perturbants.

S'éloignant de son Maine littéraire et des villes fictives de Castle Rock ou de Derry, Stephen King n'abandonne pas pour autant ses univers partagés. Ainsi, Alec Pelley l'enquêteur de l'avocat de Terry Maitland, fait-il appel à une vieille connaissance des lecteurs du King, Bill Hodges. Bien évidemment, le fan des œuvres du romancier sait fort bien que le flic à la retraite reconverti dans le privé est mort d'un cancer du pancréas dans le roman Fin de ronde (2016 ↬ 2017), et c'est donc son associée de l'agence Finders Keepers, Holly Gibney, qui participe à l'enquête officieuse de Ralph Nelson.

Car, un peu comme dans Ça (1986 ↬ 1988), c'est un petit groupe qui se réunit pour faire la vérité sur le crime de Flint City. Ses membres vont devoir accepter l'inconcevable afin de traquer le véritable assassin et innocenter Terry Maitland. Se sentant coupable, malgré le dossier en béton qu'il avait constitué, Ralph Nelson devient ainsi, à son corps défendant, le noyau de cette cellule qui regroupe Howard Gold, l'avocat de Terry Maitland, Alec Pelley, Holly Gibney et le lieutenant Yunel Sablo de la police d'État. Ils découvrent rapidement que les événements de Flint City font partie d'une affreuse série de meurtres d'enfants dont les coupables, même s'ils clamaient leur innocence, ont, à chaque fois, été formellement identifiés et décèdent avant même d'avoir été condamnés par la justice. Les enquêteurs se lancent donc sur la piste de celui qu'ils surnomment l'Outsider, un criminel protéiforme dans la droite ligne d'un Grippe-Sou. C'est cette traque, qui commence comme une véritable enquête policière, que Stephen King conte à sa manière inimitable, en donnant, comme à toujours, une grande place à l'humain. On partage ainsi les doutes et les craintes de Ralph Nelson, hanté par un dossier qui, s'il ne l'estime pas bâclé, l'a pourtant conduit à inculper un homme qui meurt dans ses bras en continuant à se dire innocent du crime horrible dont on l'accuse. On apprécie aussi forcément l'évolution de Holly Gibney qui, malgré la disparition de son ami et mentor Bill Hodges, dépasse ses peurs pour poursuivre l'activité de l'agence Finders Keepers qu'ils ont créée ensemble.

Cet Outsider que pourchassent Ralph Nelson et ses compagnons appartient totalement à la galerie des monstres de l'univers de Stephen King. Au fil de l'enquête, diverses hypothèses sont évoquées, dont certaines reliant le mystérieux meurtrier à certaines créatures du folklore mexicain, parmi lesquels le Chupacabra a déjà marqué de son empreinte sanguinaire quelques films, épisodes de séries télévisées ou comic books. Mais le lecteur régulier des œuvres de Stephen King ne peut que rapprocher l'Outsider du clown de Ça, des extraterrestres de Tommyknockers (1987 ↬ 1989) ou encore des diverses incarnations de l'Homme en noir qui s'emparent de l'esprit des personnes innocentes dans le Fléau (1978 ↬ 1981) ou dans le Cycle de la Tour Sombre (1982-2012 ↬ 1991-2012).

Pourtant, malgré cette réelle emprise fantastique, l'Outsider se place dans la continuation directe de la trilogie polar initiée par King avec le roman Mr Mercedes (2014 ↬ 2015), se poursuivant avec Carnets noirs (2015 ↬ 2016) et qui se conclut avec Fin de ronde, s'éloignant radicalement de la mythologie de Castle Rock. Il faut cependant constater que ce cycle policier s'est lentement, mais franchement, ouvert à l'étrange tout particulièrement dans son dernier opus, avec l'évolution du personnage de Brady Hartsfield. Pour cet Outsider, Stephen King ajoute une dose d'horreur pure au cocktail, avec le talent et l'efficacité qu'on lui connaît, et livre un de ces terrifiants page turners dont il a le secret.