KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Alain Damasio : les Furtifs

roman de Science-Fiction, 2019

chronique par Philippe Paygnard, 2020

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En 2041, les multinationales dominent la planète et contrôlent pratiquement tous les instants de la vie de citoyens ultra-connectés. Pour éviter la faillite, la plupart des grandes villes se sont laissé acheter par des groupes capitalistes, Paris appartient désormais à LVMH, Lille à Auchan et Orange à Orange. Dans cette société où tout semble sous contrôle, d'étranges créatures sont apparues ou plutôt ont disparu. En effet, des formes de vie inconnues que l'on n'aperçoit que du coin de l'œil sont suspectées d'envahir le monde, discrètement et insidieusement. Il suffit cependant de les fixer du regard pour les tuer, mais voir l'invisible n'est pas chose facile. C'est pourtant ce qu'essaie de faire Lorca Varese en s'engageant au sein du Récif, cette unité spéciale de l'armée chargée de traquer les Furtifs. En effet, il est convaincu que sa fille Tishka, mystérieusement disparue à l'âge de quatre ans, a rejoint les Furtifs et il entend tout tenter pour la retrouver. Sa femme, Sahar, proferrante pour les enfants que l'Éducation nationale privatisée laisse sur le bord de la route, supporte mal la folle obsession de son mari alors qu'elle souhaite simplement faire son deuil.

Comme tous les livres d'Alain Damasio, les Furtifs est exigeant envers son lectorat. Ainsi, le romancier passe, sans prévenir et au sein d'un même chapitre, d'un narrateur à l'autre, obligeant le lecteur à les identifier à travers les quelques éléments grappillés au fil de la lecture et des tics de langage de chacun. La chasse aux Furtifs est contée par l'intermédiaire de quatre narrateurs différents, permettant, si l'on ne perd le fil, d'avoir une vision tout à la fois globale et intime de la traque menée par la meute composée d'Aguëro, de Nèr, de Saskia et de Lorca.

Avec ses plus de sept cents pages, les Furtifs est un roman de longue haleine qui reprend certaines thématiques de la Zone du dehors avec une insistance renouvelée. Au-delà de la quête de parents à la recherche de leur enfant perdue, qui fait un peu penser à Peter Pan, Alain Damasio décrit un monde où toutes les villes sont privatisées, les citoyens bagués et classés selon leurs revenus et leur rentabilité, avec une notion de vie privée en totale voie de disparition. La quête est longue et la description de la société version 2041 plutôt lourde et répétitive, à tel point que l'on se demande vers quelle conclusion Damasio veut nous conduire. En effet, après avoir tenté de débusquer les Furtifs en utilisant la technologie militaire, Lorca poursuit sa traque en rencontrant des réfugiés balinais qui ont une vision mystique et presque mythologique des Furtifs, les associant au démon Batara Kala. Puis, grâce à Toni Tout-fou, un tagueur, il découvre que les Furtifs laissent des traces de leur passage sous forme de glyphes. Cela mène alors le père désespéré qu'est Lorca jusqu'à l'Institut des Langues ésotériques de Louise Christofol, qui semble avoir percé le mystère de ce langage. Et il finit par rencontrer Varech, un philosophe de quatre-vingts ans, qui pourrait être le premier être humain à avoir apprivoisé un Furtif, qui a pris la forme d'une bibliothèque automorphe et philosophe. Ce dernier donne un conseil étonnant à Lorca : « Vous ne trouverez jamais votre fille si vous la chassez, si vous la cherchez. ». Suivant l'avis de Varech, Lorca et Sahar, qui l'a finalement rejoint dans sa quête, réussissent enfin à entrer en contact avec Tishka et le monde des Furtifs. La force de l'amour se révèle ainsi plus efficace que la technologie, le mysticisme, la linguistique et la philosophie.

Jouant sur les mots et avec les mots, Alain Damasio crée une œuvre qui, par moments, peut se lire à voix haute. Caractères et ponctuation participent également totalement à la narration. Il n'en reste pas moins que ce volumineux roman aurait gagné à se délester que quelques pages sans pour autant perdre en intensité.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 86, mars 2020

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