Le 24 décembre 2501, peu avant le crépuscule, Lorek descendait vers le Village, après avoir passé une journée de méditation au Monastère. Il avait dix-neuf ans et il devait naître à son destin la nuit de Noël, c'est-à-dire dans quelques heures.
Le froid était vif. Lorek marchait vers le nord et le vent lui jetait au visage de légers flocons de neige.
À l'ouest, au loin, la tour de l'Usine venait de s'illuminer. Le château de la Commune restait obscur… En ce temps-là, les villes avaient été abandonnées. Les Hommes vivaient dans de petites agglomérations rurales qu'on appelait constellations. Chacune était formée d'un Village, d'un Monastère, d'une Commune et d'une Usine. Lorek habitait la Constellation du Bélier de Valberg. Il n'avait jamais quitté son village natal.
Demain serait Noël, le jour du destin. Ce soir même, avec près de deux cents jeunes de la constellation, il partirait pour la forêt. Il devrait se séparer de ses compagnons et s'engager seul dans la direction qui lui serait désignée. Après…
À ce moment, Lorek aperçut le maître-moine Fulerio, son guide de méditation, debout dans sa longue cape, sous un des tilleuls géants qui bordaient la route du Village. Il s'arrêta pour le saluer.
« Est-ce que nous nous reverrons bientôt, Maître ?
— La destinée est insondable. » répondit Fulerio.
Lorek pesa cette réflexion énigmatique, qui semblait contredire un peu ce que Fulerio lui avait enseigné. À moins qu'il n'eût mal compris ou deviné faux…
Il s'inclina devant le maître-moine et reprit sa marche vers le Village. Il s'en allait lentement, et deux filles qui arrivaient derrière lui le rejoignirent en glissant sur la neige verglacée : Hane la blonde et Ceylane la brune. Toutes les deux avaient médité le jour durant au Monastère. Et toutes les deux allaient bientôt s'élancer vers la forêt pour y rencontrer leur destin.
Ceylane battit des mains.
« Plus que six heures avant minuit ! Plus que six heures ! »
Lorek et les jeunes filles se trouvaient maintenant à la limite du Monastère et du Village, marquée par un haut portique blanc.
Le regard caressant de Ceylane et le regard pénétrant et un peu moqueur de Hane troublaient également Lorek.
— « Eh, Lorek, » dit Hane, « tu n'as pas l'air gai pour un jour de fête !
— Il a sommeil. » dit Ceylane. « Je suis sûre qu'il n'a pas dormi la nuit dernière. C'est l'émotion. Mais le voyage dans la forêt va le réveiller ! »
Lorek réfléchit : son destin avait-il quelques chances de coïncider avec celui de Hane, ou celui de Ceylane ? Il y avait les quatre territoires du Bélier de Valberg ; en outre, chacun d'eux pouvait être désigné pour l'échange avec les constellations voisines, le Lion de Valberg et le Cygne de Neyron. Le Lion et le Cygne étaient aussi divisés en quatre territoires… Cela faisait en tout une douzaine de destinations possibles. Les chances pour Lorek de se retrouver avec l'une ou l'autre des deux filles étaient faibles mais pas négligeables.
Il s'aperçut soudain qu'il ne le souhaitait pas.
— « Je vous fais mes adieux ! » dit-il.
Les filles l'embrassèrent tour à tour. Ils se séparèrent à l'entrée du Village.
Noël était le jour du destin pour des milliers de jeunes hommes et de jeunes filles dans le monde.
« Nous sommes deux cent vingt ! pour toute la constellation ! » s'écria un garçon enthousiaste.
Lorek regarda ses compagnons et ses compagnes. Les uns étaient ardents et joyeux ; les autres, calmes, presque recueillis ; mais tous semblaient heureux. Pourquoi lui avait-il le cœur serré ?
La vie était douce dans les constellations. Il allait sans doute quitter ses parents et ses amis ; mais il les reverrait souvent. Il ne souffrirait jamais de la faim ni du froid. Il ne connaîtrait jamais l'humiliation, la privation de liberté, la solitude, la souffrance sans remède, toutes choses familières aux pauvres humains du passé. Il ne vivrait jamais dans l'angoisse du lendemain. Mais pour lui, le lendemain ressemblerait un peu trop à la veille, dans une existence infiniment paisible, au cours monotone comme celui d'une rivière dans la plaine.
La Terre était devenue un paradis écologique depuis que la population avait en grande partie émigré vers les îles de l'espace. Mais on s'y ennuyait beaucoup.
Lorek aurait voulu partir très loin. Où ? Il n'en savait rien. Les îles de l'espace étaient désormais fermées aux habitants de la planète. Et sur Terre, on voyageait de moins en moins…
Quelle que soit sa destinée, elle s'inscrirait dans un rayon de trente ou quarante kilomètres autour de ce Village du Bélier, où il était né, où il avait passé son enfance et son adolescence. Il ferait quelques petits voyages et peut-être un grand voyage autour du monde. Pas plus… Le tourisme était passé de mode ! Toutes les constellations se ressemblaient. Il n'y avait plus de désert et les grandes villes du passé n'étaient plus que des curiosités historiques…
Oui, quel que soit le destin que les mages de la forêt choisiraient bientôt pour lui, il y avait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que sa vie ne sorte pas de ce décor trop connu, de ce programme trop certain.
Les vagabonds, les nomades existaient toujours, en petit nombre. Mais Lorek ne se sentait aucune vocation de ce genre. Encore moins une vocation de brigand
Il savait depuis longtemps que les choses seraient ainsi. Cependant, jusqu'au dernier jour, l'échéance semblait lointaine. Il gardait au fond de lui l'espoir irrationnel qu'un événement vague viendrait au dernier moment rompre l'enchaînement du destin. Maintenant, Noël était arrivé. Les jeux sont faits, pensa-t-il. Il avait la certitude que son sort, comme celui de tous les jeunes de la constellation, avait été fixé secrètement par le Comité de la Population du Bélier. La mise en scène des mages de la forêt donnait un air de féerie à une décision bureaucratique. L'organisation du monde voulait que chacun reçoive d'autorité son affectation au sein de la communauté. Le voyage de Noël dans la forêt du destin changeait en fête cette cruelle fatalité.
Voilà ce que le maître-moine Fulerio laissait entendre aux plus curieux de ses élèves.
Il fallait accepter. Chacun devait suivre son destin. Une révolte solitaire n'avait pas de sens.
La nuit noire de l'hiver enveloppait maintenant le Village. Quelques flocons de neige flottaient lourdement dans l'atmosphère immobile. Le ciel aussi semblait retenir son souffle en l'attente du destin.
La constellation tout entière était illuminée. De la place du Village, on pouvait repérer quelques-uns des hauts lieux du Bélier : la chapelle-minaret, le château communal, la tour de l'Usine… Les jeunes aspirants au destin se rassemblaient déjà. Et ceux qui n'avaient pas encore l'âge de partir, et ceux qui n'avaient pas été désignés pour une raison ou pour une autre, se mêlaient à eux timidement.
Mais il était trop tôt, bien trop tôt. La fête commencerait vraiment vers neuf heures du soir. Vers onze heures, le bus de service emporterait les aspirants jusqu'au bord de la forêt. Les habitants du Village continueraient de danser et de chanter sous le chapiteau des fêtes brillamment éclairé, tandis que la destinée aux ailes de soie planerait sur les sombres futaies.
Lorek décida de dire au revoir à ses parents sans plus tarder. Il avait environ une chance sur cinq de revenir le lendemain matin. La pensée du départ le chagrinait moins que ce froid calcul. Se retrouver à jamais prisonnier du Village était le destin le moins glorieux qu'il pouvait imaginer…
Il s'engagea dans une rue qui grimpait vers le tertre, le point le plus élevé du Village. Une silhouette furtive, tapie dans une encoignure, s'éloigna brusquement. Il crut reconnaître Pauli, un garçon né au destin depuis un an… Et le destin avait voulu qu'il reste là, dans la rue où il avait fait dix-huit ans plus tôt ses premiers pas. Il dissimulait de son mieux son ennui et son regret ; mais Noël ne serait plus jamais une fête pour lui.
Lorek embrassa Pons le tisserand et Martha la tisserande, ses parents. Tous deux semblaient enclins à des adieux solennels que le jeune homme trouvait un peu ridicules. De quoi aurons-nous l'air si je rentre à la maison demain matin ? Il brusqua la séparation et retourna dans la rue. Il marcha dans la campagne, en suivant la limite du territoire communal.
Le vent ne soufflait plus et la neige tombait en gros flocons mouillés. On avait presque totalement renoncé au contrôle climatique sur la Terre. La manipulation de l'atmosphère avait des effets imprévisibles et dangereux… Noël était une exception quasi universelle. Du 23 au 31 décembre, la neige tombait partout, jusqu'aux tropiques.
Lorek releva le col de sa veste. Des vêtements chauds seraient distribués aux jeunes voyageurs pour leur nuit sous les étoiles magiques. Chacun recevrait en outre une pomme d'or de Noël. C'était une grosse boule de métal suspendue à une chaîne : elle guidait les mages vers l'aspirant qui la portait.
Lorek n'avait aucune envie de participer à la fête. Il se sentait le cœur lourd. Le repas offert par les anciens du Village et pris en commun par les jeunes partants ne le tentait guère. Il n'avait pas faim.
Il erra sur la neige, dans les rues étroites, à la périphérie du bourg, entre la Commune et le Monastère. L'Usine se trouvait plus loin, à l'ouest. Peut-être irait-il bientôt y travailler et y vivre… Il pataugeait maintenant dans une couche molle et poudreuse qui commençait à prendre de l'épaisseur. La nuit dans la forêt du destin serait très dure.
Il eut bientôt fait le tour du Village. C'était le plus petit des quatre territoires de la constellation ; la Commune était le plus vaste et l'Usine le plus peuplé…
Il tournait autour de la cage sans barreaux dans laquelle son destin allait bientôt l'enfermer. Il se mit à courir comme pour mimer l'impossible évasion. Impossible ? Était-ce bien sûr ? Il avait trop chaud. Il ouvrit le col de sa veste, laissant les flocons glisser dans son cou et fondre contre sa peau. Le froid l'exalta. Il ramassa une poignée de neige et l'écrasa sur son front.
Ce fut peut-être à cet instant, ou peut-être un peu plus tard, qu'il se posa cette question bouleversante : pouvait-il changer son destin ?
Noël était une nuit magique. Les rares étoiles qui brillaient dans un ciel d'encre étaient des étoiles magiques. La boule de métal appelée pomme d'or ou orange de Noël, que recevait chacun des aspirants au destin avant de partir pour la forêt, était aussi une sphère magique, puisqu'elle servait à guider les mages…
Toute cette magie avait-elle un pouvoir, un vrai pouvoir ? Le maître-moine Fulerio ne le croyait pas ; mais son rôle était de douter de tout. Noël, songea-t-il, ne serait pas Noël si l'on n'avait pas le droit de croire à l'impossible !
Lorek leva les yeux et choisit une étoile au hasard. Au hasard parce qu'il était incapable d'identifier les constellations stellaires dans un ciel trop sombre. Il la choisit et l'appela. Pour la première fois… En trois ou quatre secondes, peut-être cinq secondes, il lui raconta sa vie, son espoir et son désespoir, sa fierté et aussi sa honte : la honte de ne pas être comme les autres, qui se contentaient d'un destin tout tracé, d'une existence monotone et tout simplement heureuse…
Seule, une étoile pouvait comprendre cela !
Il attendit une réponse. Les étoiles avaient-elles jamais répondu aux appels des Hommes ? Il l'ignorait. Mais si cela devait arriver, ce serait en cette nuit magique.
L'étoile inconnue ne lui envoya pourtant aucun signal qu'il pût reconnaître. Il rentra au Village tête basse mais le cœur battant.
Il recommencerait. Toute la nuit, il appellerait les étoiles. Il lutterait jusqu'au matin, s'il le fallait, pour être le maître de son destin !
Il reçut des vêtements chauds et une boule d'or. Au milieu de ses compagnons prêts au départ, il se sentait seul de sa race, celle des rêveurs et des insatisfaits…
Lorsqu'arriva le vieux bus rouge qui avait fêté plus de vingt noëls, les applaudissements fusèrent de toutes parts. Les jeunes se précipitèrent pour s'entasser dans le véhicule avec des cris joyeux. Avant d'embarquer à son tour, Lorek chercha dans le ciel l'étoile inconnue. Celle-là ou une autre… peu importait, puisque cette nuit toutes les étoiles étaient magiques. Et il lança son deuxième appel. Étoile de Noël, change ma vie ! Emporte-moi loin d'ici !
Puis il monta dans le bus.
Sur la route de la forêt, l'expédition du Village rattrapa les deux gros véhicules de l'Usine, bleu clair, flambant neufs. Les bus se séparèrent à la première bifurcation, chaque groupe se dirigeant vers le secteur de la forêt qui lui était imparti.
Les aspirants du Village mirent pied à terre à proximité d'un bâtiment ancien, datant peut-être d'avant les constellations. Une ferme isolée ou quelque chose de ce genre… La neige tombait en flocons serrés, tissant contre la nuit un épais rideau de laine scintillante. Au sol, la couche en train de durcir sous le froid très vif, atteignait déjà dix bons centimètres. Les gens du contrôle climatique exagèrent ! pensa Lorek.
Quelqu'un chanta :
« Toi, ô mon bon destin,
Qui m'attend au matin
Sous le couvert des hêtres,
Par toi, je vais renaître ! »
Une demi-douzaine de voix reprirent, assez mollement, l'hymne à la forêt du destin. Lorek appela son étoile dans sa tête : Étoile de Noël, change mon destin avant le matin ! Si le maître-moine Fulerio avait deviné ses pensées à cet instant, il se serait bien moqué de lui !
Quatre anciens organisaient le départ des jeunes, qui devaient se déployer sur une seule ligne, parallèle à la lisière de la forêt, avant de s'enfoncer sous le couvert en éventail. Les numéros indiquant la position de chacun avaient été tirés au sort sur la place du Village. Lorek se trouvait à l'aile droite, vers le sud. Il était donc parmi ceux qui auraient le plus long chemin à parcourir. Cela ne le gênait pas. Il ne demandait qu'à parcourir un long, un très long chemin.
Tous les aspirants emportaient un bon litre de boisson chaude dans une bouteille isolante et des tablettes de fructose. Ils devaient, tout en marchant, balancer la pomme d'or de Noël au bout de sa chaîne. Sur un signal d'un ancien, la troupe se mit en marche lentement, en glissant et en pataugeant.
À sa gauche, il reconnut Ceylane. La jeune fille l'avait vu aussi, à la lueur des phares. Maintenant, le bus était loin et la clarté faiblissait. Ceylane adressa à Lorek un bref signe de reconnaissance, puis elle s'écarta de lui et disparut dans la nuit. Ils avançaient contre le vent qui leur soufflait la neige au visage… Lorek regarda sa montre : 23 h 40. Ils étaient partis avec presque une demi-heure d'avance, en raison du mauvais temps. La forêt du destin, à environ deux kilomètres, était complètement invisible.
Lorek tira son bonnet pour protéger son front et ses yeux. Il pensa soudain que si l'étoile inconnue exauçait son vœu, il ne reverrait jamais Ceylane. Il ne reverrait jamais ses parents ni aucun de ses amis du Village. Cette idée lui donna une grande angoisse. Ceylane se trouvait encore à quelques dizaines de mètres de lui. En faisant un crochet à gauche, il pouvait sûrement la rejoindre et lui dire… Mais que lui dirait-il ?
Et puis, c'était absurde. Les étoiles n'exauçaient jamais les prières des Hommes, même la nuit de Noël. D'ailleurs, il n'avait plus envie de partir au loin. S'il avait pu rejoindre Ceylane, il lui aurait dit cela : « J'ai fini de rêver. Je suis adulte, maintenant. Je serai heureux de rester ici et de vivre avec toi, si c'est mon destin… ».
Il marchait. Il heurta une branche basse d'un arbuste et une pluie de neige l'arrosa. Il butta contre un talus et se releva. Puis il mit un pied dans un trou. La glace céda sous son poids. Sa jambe s'enfonça presque jusqu'au genou. Quelques millimètres de plus et sa botte droite s'emplissait d'eau… Il échappa de justesse au supplice. Il consulta sa boussole pour reprendre son cap. Il se rappela les instructions de l'ancien. Il le fit avec humilité et avec un profond désir d'obéissance.
Il devait marcher devant lui, tout droit, sans s'écarter du cap qui lui avait été donné. S'il rencontrait un de ses compagnons de voyage par hasard — ce qui était improbable —, il devrait feindre de ne pas le voir et s'éloigner sans lui adresser la parole. Surtout ne pas oublier de balancer la boule d'or… Sans aucun doute, cet appareil émettait un signal codé… Plus tard, dans la forêt, la pomme d'or s'éclairerait. Il lui faudrait alors s'arrêter, s'appuyer contre un arbre et méditer en attendant les mages. Et les mages viendraient ; ils lui feraient connaître son destin ou bien l'aideraient à le choisir.
Cela se passerait au début de la nuit ou n'importe quand d'ici à l'aube. On ne pouvait pas savoir…
Et soudain, la forêt fut devant lui, pareille à une immense bête couchée dans la neige. Obscure et sauvage, mais accueillante pourtant car c'était la forêt du destin.
Lorek caressa un tronc, puis en fit le tour et s'engagea sous le couvert.
Il croqua une troisième tablette et but au goulot de sa bouteille quelques gorgées de vin tiède. Puis il repartit. La neige ne tombait plus, ou bien les branches l'arrêtaient. Mais le froid était de plus en plus mordant. Et le temps passait. L'anxiété de Lorek grandissait.
Le chiffre 3 apparut sur le cadran de sa montre. Il était dans la forêt du destin depuis plus de deux heures et demie. Il avançait à tous petits pas, la main droite tendue, fouillant l'obscurité à la recherche des obstacles innombrables qui se dressaient sur son chemin. À son poignet gauche, était accrochée la chaîne de la pomme d'or, qu'il balançait régulièrement…
Encore dix minutes, vingt, trente… Il était entré dans la forêt depuis trois heures. Comme elle ne faisait pas plus de sept à huit kilomètres de largeur, il devait en avoir traversé près de la moitié. Au jour, il serait de l'autre côté et il aurait un destin. Son destin d'Homme…
La pomme d'or s'illumina. Une grande émotion envahit Lorek, qui retint son souffle et s'adossa à un arbre. C'était un hêtre, comme dans la chanson, un hêtre géant au tronc lisse et froid. Il attendit. Un halo apparut sur la gauche et s'approcha en dansant. Deux silhouettes humaines, habillées de couleurs vives, se détachèrent à quelque distance. Naturellement, les mages n'étaient pas des personnes vivantes. C'étaient de simples hologrammes, des projections lumineuses commandées depuis la constellation…
Lorek salua d'une inclinaison de tête.
« C'est Noël, Lorek. » dit le premier mage. « La nuit de ton destin.
— As-tu un vœu à formuler ? » demanda le deuxième mage.
— « J'aime mon pays, mon Village. » dit Lorek. Je voudrais rester au Bélier et vivre avec Ceylane, si elle m'accepte…
— Ceylane ? Quelle Ceylane ? »
Lorek s'expliqua. Il tremblait d'inquiétude. Comme il avait hâte, maintenant, de retrouver l'abri sûr de la constellation et l'amitié de ses compagnons. Et Ceylane… Les mages paraissaient se concerter silencieusement. Sans doute échangeaient-ils des messages avec le centre de la Population du Bélier.
Puis l'un d'eux parla : « Oui, Lorek, Ceylane veut bien de toi. Vous avez tous deux votre place dans la constellation. Mais ton cas est un peu particulier. Nous nous reverrons avant le jour. Marche. Nous te rejoindrons. À bientôt !
— Mais pourquoi… » commença Lorek.
Les mages avaient disparu. Le jeune homme étudia sa boussole et repartit. Il marcha longtemps. Le ciel s'éclaircissait au-dessus des arbres. L'aube approchait. La pomme d'or restait terne et morte à son poignet…
Les mages ne revinrent pas.
Quand Lorek sortit de la forêt, une jeune femme blonde l'attendait près d'un traineau à voile. Elle lui fit signe s'approcher. Étonné, il se dirigea vers elle.
« Je m'appelle Lorleim. » dit la jeune femme blonde. « Viens. Je dois t'emmener très loin !
— Mais pourquoi ? » demanda Lorek.
— « Parce que tu l'as souhaité. Monte ! »
Ainsi, l'étoile inconnue avait entendu son appel… Et puisque les mages n'étaient pas revenus, sa requête avait été finalement rejetée. Ou bien Ceylane avait changé d'idée… Il devait partir. Baissant la tête, il suivit Lorleim dans le traîneau. La jeune femme s'installa devant un tableau de bord, composé d'un cadran et de quatre touches. L'engin commença à glisser sur la neige. Lorek se retourna et vit la forêt du destin s'éloigner derrière lui. Lorleim lui sourit. Elle était belle mais hautaine, différente. Elle lui faisait peur.
— « Où m'emmenez-vous ? » demanda-t-il.
— « Très loin. » dit-elle. « Tu ne reverras jamais ton pays, si c'est ce que tu voulais ! »
C'était ce que Lorek avait voulu ; il le regrettait de tout son cœur… Soudain, le traineau décolla et commença à s'élever, à une vitesse énorme. Ce n'était pas un traineau à voile, mais un engin beaucoup plus sophistiqué… Lorek pensa : Les îles de l'espace ! Les constellations devaient, sans l'avouer, fournir aux îles lointaines un contingent d'émigrants choisis parmi ceux qui avaient envie de partir — ou le croyaient…
— « C'est une erreur ! » dit Lorek. « Je ne veux… Ceylane m'attend au Village ! »
Lorleim le regarda avec étonnement. Elle parut soudain s'éloigner, sans bouger. Son corps devint brumeux, puis transparent. Elle disparut. Elle aussi était un hologramme… Lorek eut l'impression de tomber dans un immense nuage noir et il perdit conscience.
Quand il se réveilla, il était étendu sur la neige. Un homme vêtu d'une longue cape claire se penchait sur lui. Il reconnut son maître Fulerio. Et derrière lui, se tenait Ceylane…
« Et bien, » dit le moine, « il était temps ! Nous avons failli te perdre. Mais le Village vous attend, tous les deux ! »