En voilà un qui était un type, et un rude type et d'attaque ! Vingt fois je l'ai vu, rien qu'en levant le bras de son scaphandre, arrêter tout l'escadron, net.
Il était major à ce moment-là. Un peu rosse dans le service, mais charmant en virée.
Comment diable s'appelait-il ? Un sacré nom alsacien qui ne peut pas me revenir, comme Würtz ou Klein… Oui, ça doit être ça, Klein. Du reste, le nom ne fait rien à la chose. Natif d'Altenkirchen, pas d'Altenkirchen même, mais des environs.
Quel type, ce Klein !
Un dimanche — nous étions en garnison sur Orange 4, satellite de Véga 9 (nine, en anglais) — Klein me dit : « Qu'est-ce que nous allons faire aujourd'hui ? ». Moi, je lui réponds : « Ce que tu voudras, mon vieux Klein. ».
Alors nous tombons d'accord sur une country party.
Nous prenons un chenillard, roule dur, garçon ! Et nous voilà dehors.
Il faisait beau temps, un peu d'orage magnétique, mais beau temps tout de même.
Nous filions comme des étoiles, heureux de voir disparaître à l'horizon le dôme de la station.
Ça creuse, le chenillard ! Nom d'un chien, quel déjeuner !
Je me rappelle notamment une certaine boîte qui fut ratissée jusqu'à l'indécence.
Pendant ce temps-là, nous ne nous apercevions pas que l'orage gonflait et que les grêles de méthane se mettaient à crépiter d'une façon inquiétante.
« Diable ! » dit Klein. « Il faudrait… »
Au fait, non, ce n'est pas Klein qu'il s'appelait.
Il avait un nom plus long que ça, comme qui dirait Kleinbach. Va pour Kleinbach !
Alors Kleinbach me dit :
« Mon petit, faut songer à rallier. »
Mais je t'en fiche, de rallier. L'orage soufflait en tempête.
L'antenne est enlevée par une bourrasque, une chenille fiche le camp, fracassée par une aiguille de mercure. Nous voilà à la merci des éléments.
Nous gagnions le dôme avec une vitesse déplorable et un cahotement terrible.
Prêts à tout événement, nous avions enfilé nos scaphandres.
La nuit tombait, l'ouragan faisait rage.
Ah ! une jolie idée que nous avons eue là, d'aller contempler ton infini, ô Orange 4 !
Et puis, l'obscurité arrive complètement. Il n'était pas loin de minuit en Temps Universel.
Tout à coup, un craquement épouvantable, nous venions de verser.
Où étions-nous ?
Kleinbach, ou plutôt Kleinbacher, car je me rappelle maintenant, c'est Kleinbacher ; Kleinbacher, dis-je, qui connaissait ses cartes sur le bi du bout du doigt (les Alsaciens sont très instruits), me dit :
« Nous sommes dans les rochers de Mare Bidulum, mon vieux. »
Est-ce que l'administration, entre nous, ne devrait pas mettre des plaques indicatrices sur tous les lieux dangereux de l'astéroïde, car c'est le diable pour s'y reconnaître, quand on n'a pas l'habitude ?
Il faisait noir comme dans un four. Trempés comme des soupes, nous grimpâmes les rochers de la falaise.
Pas une lumière à l'horizon. C'est gai.
— « Nous allons manquer l'appel de demain matin. » dis-je, pour dire quelque chose.
— « Et même celle du soir. » répondit sombrement Kleinbacher.
Et nous marchions dans les flaques de pyrobenzène et dans les mares de styrobenzol. Nous marchions sans savoir où, uniquement pour nous réchauffer.
« Ah ! » s'écria Kleinbacher, « j'aperçois une lueur ; vois-tu là-bas ? »
Je suivis la direction du doigt de Kleinbacher, et effectivement, une lueur brillait, mais très loin, une drôle de lueur.
Ce n'était pas une simple lumière d'étoile, ce n'était pas les feux d'une fusée, non, c'était une drôle de lueur.
Et nous reprîmes notre marche, en l'accélérant.
Nous arrivâmes enfin.
Sur des rochers se dressait un dôme d'aspect imposant, un haut dôme de plastidur où l'on n'avait pas l'air de rigoler tout le temps.
Une des bulles de ce dôme servait de reposoir, et la lueur que nous avions aperçue n'était autre que l'éclairage sacré tamisé par les pseudo-vitraux pseudo-gothiques.
Des chants (?) nous arrivaient, des chants graves et mâles, des chants qui vous mettaient des frissons dans le dos.
« Entrons. » dit Kleinbacher, résolu.
— « Par où ?
— Ah ! voilà, cherchons une issue. »
Kleinbacher disait : « Cherchons une issue », mais il voulait dire : « Cherchons une entrée ». D'ailleurs comme c'est la même chose, je ne crus pas devoir lui faire observer son erreur relative, qui peut-être n'était qu'un lapsus, causé par le froid.
Il y avait bien des entrées, mais elles étaient toutes closes, et pas de sonnette. Alors c'est comme s'il n'y avait pas eu d'entrées.
À la fin, à force de tourner autour du dôme, nous découvrîmes un petit sas que nous pûmes déverrouiller.
« Maintenant, » fit Kleinbacher, « cherchons la cuisine. », en ôtant son casque. L'air était respirable.
Probablement qu'il n'y avait pas de cuisine dans l'immeuble, car aucune odeur de fricot ne vint chatouiller nos narines.
Nous nous promenions par des couloirs interminables et enchevêtrés.
Parfois, une storibelle voletait et frôlait nos visages de sa sale peluche.
Au détour d'un corridor, les chants que nous avions entendus vinrent frapper nos oreilles, arrivant de tout près.
Nous étions dans une grande pièce qui devait communiquer avec le reposoir.
« Je vois ce que c'est. » fit Kleinbacher (ou plutôt Kleinbachermann, je me souviens maintenant). « Nous nous trouvons dans le dôme des Orions. »
Il n'avait pas terminé ces mots qu'une immense paroi s'effaça, s'ouvrant toute grande.
Nous fûmes inondés de lumière.
Des êtres étaient là, à genoux, quelques centaines, bardés de plastidur, casque en tête, et de haute stature.
Ils se relevèrent avec un long froissement de plastique, se retournèrent et nous virent.
Alors, du même geste — transmission de pensée ? —, ils saisirent leur tranche-neutron et marchèrent sur nous, la détente agressive.
J'aurais bien voulu être ailleurs.
Sans se déconcerter, Kleinbachermann déposa son casque, se mit en posture de défense et s'écria d'une voix forte :
« Ah ! Nom de Dieu ! Messieurs les Orions, quand vous seriez cent mille… aussi vrai que je m'appelle Ruf !… »
Ah, je me rappelle maintenant, c'est Ruf qu'il s'appelait. Son père était tailleur à Vandœuvre. Ruf, oui, c'est bien ça…
Sacré Ruf, va ! Quel type !…