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La petite chronique de nuit de Philippe Curval

Galaxie 153, mars 1977

Algis Budrys : le Prophète perdu

Poul Anderson : Fatum

Richard Cowper: Deux univers

Keith Roberts : les Géants de craie

Michael Anderson: l'Âge de cristal

John Guillermin: King Kong

Il paraît qu'à 70 ans nous sommes restés éveillés, en moyenne, pendant 43 ans, que nous avons dormi d'une façon plus ou moins profonde durant 22 ans et que nous avons rêvé seulement 5 ans. Cette existence onirique est considérablement trop courte. C'est peut-être une des raisons pour laquelle la plupart de nos contemporains l'évacuent comme asociale et non rentable. Pour moi, elle constitue la part la plus pure et la plus irréductible de l'expression individuelle.

Reste à définir ce qu'on appelle être éveillé. Doit-on compter dans ces 43 ans les 15 années minimum que chacun consacre ici à sa scolarité et à son travail ? À de rares exceptions près, elles ne permettent pas de se livrer à une activité, une réflexion personnelle. Faut-il aussi évacuer de ces 28 ans de liberté surveillée qui subsistent, les 210 heures qu'on passe, environ — si l'on ne souffre pas de maladie —, à uriner et à déféquer ? Non, ces précieux instants comptent. Peut-on estimer alors le temps consacré à se nourrir comme appartenant à l'état d'éveil ou doit-on considérer l'importance qu'on voue à cette nécessité biologique comme un inutile dérivatif ? Cela dépend de la façon dont on mange. Soit en considérant cette fonction comme un des beaux arts, soit en la réduisant à un art ménager, soit en mangeant avec un lance-pierre. Et le travail, les transports, les week-ends, le bricolage, les sports, les informations, les loisirs, les vacances, la culture ne surchargent-ils pas en vain les moments qu'on devrait occuper à ne rien faire, c'est-à-dire à s'occuper de soi-même ? Les critères de sélection deviennent insaisissables. Qui sommes-nous en fin de compte quand nous sommes actifs et que nous ne rêvons pas ? De simples curseurs se déplaçant le long du continuum spatio-temporel destinés à fournir l'heure exacte à quelque dieu improbable, ou bien des entités malheureuses, empêtrées dans un horaire élaboré par les sociétés qu'elles ont sécrétées, si strict qu'il ne leur permet pas de s'épanouir, de s'affirmer, de devenir. Peut-être.

« Mais, me direz-vous, où placez-vous cette année et demie qu'un lecteur tout à fait moyen accorde à son vice impuni ? Dans les heures d'éveil ou de rêve.
—  Cela dépend de ce qu'il lit.
—  Et la place de la SF, dans la lecture ?
—  Cela dépend du genre de SF
—  Soyez plus précis.
—  Je classerais celle qui donne envie de vivre lorsqu'on sort d'en rêver dans la zone éveillée.
—  En somme, vous êtes pour l'intrusion du rêve dans la vie courante.
—  Exactement, cela permettrait de porter le SMIG de quelques milliers de francs par mois à 48 ans par vie. »

Cette répartie dont je laisse la responsabilité à l'auteur de ces lignes ne serait certainement pas du goût d'Algis Budrys. Pour l'auteur du Prophète perduSomewill notdie en anglais, "somewill" voulant sans doute dire "prophète" et "notdie", "perdu" ; plaisanterie à laquelle je me suis déjà livré, mais dont je ne me lasse jamais, comme ne se lassent pas les traditore en faisant n'importe quoi avec les titres — pour l'auteur du Prophète perdu, dis-je, l'homme n'est pas fait pour exister mais pour faire son devoir. C'est ce qu'il tente de démontrer dans le roman paru dans la collection "Futurama".

Une sorte de flair m'avait jusqu'à présent retenu de lire du Budrys. J'attribue au masochisme sous-jacent qui existe en chacun de nous l'idée d'entamer la lecture de l'œuvre d'Algis par ce Prophète perdu. En effet, le sujet même du roman, « Après la grande peste, l'Amérique n'est plus qu'un pays dévasté dans un monde mort où s'entredévorent les rares survivants », n'avait pas de quoi m'émoustiller. Cette énième catastrophe de l'Humanité n'est pourtant pas plus catastrophique qu'une autre, elle est déplaisante. Par contre, elle est écrite par un homme qui connaît bien son métier. Alors ? D'où vient l'irrésistible impression de malaise qui s'est emparée de moi au cours des pages. Certainement pas à cause de la cruauté de l'intrigue ni à cause de celle des personnages — par exemple celui qui placarde à travers toute la ville à l'agonie des panneaux fléchés où est inscrit « médecin vivant » pour récupérer un peu de viande fraîche sur ses clients. Non, ces détails sont dans le jeu du roman catastrophe, ils servent même à l'égayer. J'aurais applaudi si Algis Budrys avait sérieusement exploité son imagination pour tracer des sillons effervescents dans le sol de sa Grande Peste (c'est une métaphore des halles). Au lieu de cela, après avoir habilement planté le décor, Budrys nous invite à rechercher qui fut exactement ce prophète, le mythique Berendsten qui réunifia les États-Unis, dont on a perdu la trace.

« Les sociétés humaines ont toujours su produire des hommes décidés dont elles avaient besoin. Cela fait partie de la nature de l'homme de chercher à s'organiser sans cesse un peu mieux… Mais il y aura toujours quelqu'un pour désirer la moustiquaire de son voisin quand il l'aura inventée, » dit Budrys. Aussi l'inéluctable nécessité de se rassembler pour survivre implique-t-elle obligatoirement la génération spontanée d'un personnage historique destiné à faire passer l'humanité de l'âge de pierre à la fin de l'ère médiévale en un temps record. Ceci à grand renfort de tueries. Berendsten n'en voulait à personne. « Un homme se bat pour ce qu'il possède. Des hommes se battent pour ce qui les lie. » Mais Berendsten n'est lié par rien, ni par quiconque. Comme tous les grands rassembleurs historiques, il s'affirme poussé par le destin. Ceci, croyez-le sans peine, n'a rien pour me choquer ; la réalité est toujours bonne à dire. Mais voilà qu'un fouineur de bibliothèque survient, quelqu'un qui pense qu'un livre décrivant la peste et tous les massacres qui ont suivi, s'il avait existé, aurait pu éviter bien des erreurs, bien des meurtres inutiles. Il s'oppose à Berendsten.

Algis Budrys n'hésite pas ; pour lui, quand la sécurité des gens passe par les livres, les fusils rouillent. Les sociétés de pionniers dépérissent quand les hommes se mettent à réfléchir au lieu de défricher. La grandeur de l'humanité réside dans sa combativité, pas dans son effort de comprendre ce qu'est le monde. C'est à peu près la morale qu'on peut retirer du Prophète perdu. Dans ces conditions, je préfère presque les romans catastrophe du genre : « C'est la fin du monde, amen. ». Au moins, ils m'incitent à imaginer que ceux qui considèrent l'homme comme un animal profondément et seulement nuisible envisagent de se sacrifier au lieu d'édifier des sociétés. Cela permettra à ceux qui pensent que nous sommes à l'aube de notre évolution de se réunir pour parler d'un futur où les contraintes primitives auront disparu.

Puisque j'ai commencé par un auteur réactionnaire, poursuivons dans ce sens et passons à Fatum, de notre vieil ami Poul Anderson, publié au Masque. Contrairement à Budrys, si Anderson a le même solide métier d'écrivain, il possède des réserves d'innocence qui l'amènent à s'enthousiasmer à propos de ce qu'il écrit. « Tiens, s'est-il dit un jour en lisant un roman de Mary Renault sur la Grèce antique, si je faisais une bonne vieille SF sur le mythe du Minotaure, sur Thésée, Ariane et les autres. » Et il a enfourché sa machine à écrire, une 125 centimètres cubes de chez Remington, puis s'est mis à naviguer à travers le temps comme n'importe quel fan de première classe. Cela a donné Fatum.

Ce roman, bien qu'un peu longuet, n'est pas exactement ennuyeux et se lit agréablement. « Mes amis, nous propose Poul, retournons dans le passé, y puiser les forces de vivre dans notre abominable époque, car l'homme d'aujourd'hui n'est plus ce qu'il était. »

Duncan Reed, qui a des ennuis avec sa femme, se trouve ainsi embarqué vers le siècle où Minos régnait sur les îles de la mer Égée, en compagnie d'un Russe de l'ère présoviétique et d'hun (un Hun veux-je dire). À peine est-il débarqué dans le désert de Libye (qui ressemble terriblement au désert de Libye de maintenant), pris dans les tourbillons d'un appareil à voyager dans le temps mal réglé, qu'il est accueilli par une merveilleuse prêtresse, Erissa. Elle l'aime déjà au point d'avoir fait un enfant avec lui. Les quatre compagnons sont emportés vers leur inexorable destin afin qu'Erissa puisse parcourir sa boucle temporelle.

Poul se frotte les mains, il possède des masses de documents sur cette époque. N'est-ce pas, par hasard, celle que certains historiens assimilent à la destruction de l'Atlantide ? « Fatalitas ! » s'écriait Chéri Bibi, « Fatum » improvise Poul Anderson à sa suite. Imperturbablement, d'un ton assez jules-vernien, il étale toutes ses connaissances d'un vulgarisateur de bon aloi sur les années qui ont précédé le cataclysme, avant que l'actuelle île de Santorin s'enfonçât dans la mer, dans l'explosion de son volcan.

Tout aurait pu mal tourner pour Duncan Reed s'il n'avait eu une double ceinture de sécurité pour son voyage dans le temps. La première lui est fournie par la prédétermination : il lui faut rejoindre le moment où il rencontrera Erissa dans l'avenir. La seconde par sa nationalité : si les Américains ne sont plus ce qu'ils étaient, ils peuvent toujours puiser dans l'exemple de leurs ancêtres la force de redevenir des hommes, des vrais. Duncan, aidé par Poul, ne s'en prive pas. Grâce à cela, il reconquiert l'amour de sa femme par l'intermédiaire d'Erissa.

Vous me demanderez sans doute : « et la politique, dans tout ça ? »
«  Chut, Thésée vous ! »

Troisième volet de cette chronique, Deux univers, de Richard Cowper, publié dans la collection "Présence du futur". Là, nous sortons résolument de notre monde conservateur pour gagner des sphères plus réjouissantes où « palpite l'esprit d'un Lewis Caroll ou d'un Fredric Brown qui auraient mieux connu la bande dessinée. » Je n'invente rien, je cite le prière d'insérer de l'éditeur. Mais qui peut affirmer ainsi que Fredric Brown ne connaissait pas bien la B.D. ? Il est né en 1906 et tous les grands classiques paraissaient alors qu'il etait loin d'avoir perdu la faculté de s'émerveiller. D'ailleurs, ne peut-on pas dire que l'Univers en folie ferait un merveilleux scénario de B.D., sans une retouche. Quant à Lewis Caroll, j'affirmerais impunément qu'il était l'inventeur sans le savoir de la B.D. moderne. Sa pratique de l'ellipse, son goût du nonsense, sa facilité de jouer avec l'espace, avec les cadrages, cette façon de faire éclater les mots en images, ne sont-ils pas caractéristiques de nos meilleurs bédéistes ? Disons plus modestement que Deux univers, de Richard Cowper, ressemble à ce qu'aurait imaginé le fils illégitime de Lewis Caroll et de Fredric Brown, s'il avait été scénariste de bandes dessinées. Mais je n'en veux pas à l'auteur du prière d'insérer d'avoir écrit cette phrase ; tous les écrivains savent, pour s'être tressé des lauriers au dos des couvertures de leurs propres livres, que dans ce domalne le superlatif n'a pas de limites.

Revenons plutôt à Deux univers. Les Drypidons astryliens considèrent que la substance n'est guère plus que la perception subjective immédiate de l'essence. Les habitants de Chnas, qui ont un grand respect pour la pensée des Drypidons, ne sont pas loin de croire la même chose, mais il n'en sont pas sûrs. Heureusement, les Chnassiens ont encore conservé intacte la faculté de gryllooker, c'est à-dire de percevoir l'autre face de la réalité durant leur sommeil. Georges Gringe, qui vit sur Terre, a le malheur de vivre avec une femme qui lui refuse continuellement de faire l'amour, Margery. Personne ne sait exactement pourquoi Margery se refuse à Georges et celui-ci n'ose s'interroger à ce sujet. Il décrète simplement, comme les lois de la misogynie l'y autorisent, que sa femme se refuse à lui par pure méchanceté. Cette fermeture sur les autres et sur lui-même l'autorise à accéder au Gryllook. Et voilà qu'il croit inventer Chnas au cours de ses rêves, alors qu'il l'explore en esprit.

Pendant ce temps-là, sur Chnas, Zil écrit une utopie pour se distraire, sans savoir qu'il a une personnalité énantiomorphe (Je ne sais si vous trouverez ce mot dans votre dictionnaire, mais je vous laisse la surprise de le découvrir car il est déterminant). Et Richard Cowper s'interroge tout au long de ce roman délicieusement farfelu qu'est Deux univers : la littérature n'est-elle qu'une forme d'approche d'une réalité autre, seulement perceptible à quelques grillookeurs, constitue-t-elle donc des « pièges à réalité » où le trappeur-rêveur saisit les fantasmes avec de l'encre ? La création, dans ce cas, n'est qu'illusion puisqu'elle ne repose, en somme, que sur la captation d'autres univers. Ou bien, au contraire, les autres univers n'existent pas et s'agit-il bien de création, au véritable sens du terme, quand un auteur détermine une réalité différente à partir de son imagination ? Tout le problème est là. Selon le point de vue d'où on le considère, il s'avère très superficiel et spécieux, ou profond et passionnant. Je suis de ce demier avis. Je vous avouerais même, avec mon outrecuidance habituelle, que j'ai écrit aussi un roman sur un sujet similaire, un Soupçon de néant, à paraître prochainement dans la nouvelle collection de SF dirigée par Jacques Goimard pour Presses Pocket, et qui débutera ce printemps.

Cette petite page de publicité indélicatement insérée, reprenons notre propos. Richard Cowper, en effet, s'il pose le problème de la création dans ces termes, ne se contente pas de mariner dans les eaux de la SF. Tout en lui empruntant son folklore et en jouant habilement avec ses tics, il aspire au conte philosophique. Deux univers n'a de la Science-Fiction que les oripeaux et cela se sent malheureusement un peu. Malgré l'humour, malgré l'habileté de l'auteur à jongler avec les archétypes, malgré ses qualités d'invention, on devine une touche de mépris, pétri de sympathie. C'est dommage, car s'il avait joué jusqu'au bout, Richard Cowper aurait fait un chef-d'œuvre de cette histoire sans envers ni endroit où l'essence précède l'existence.

Pour terminer, les Géants de craie, de Keith Roberts, que vient de publier le C.L.A. Autant le dire tout de suite, c'est le meilleur des quatre livres dont je parle dans cette chronique, c'est aussi l'un des très bons ouvrages de l'année qui vient de se terminer. Vertige littéraire d'une grande qualité, les Géants de craie constitue la rare tentative de description littéraire d'un événement, depuis l'intérieur du cerveau malade d'un refoulé impuissant qui tente de se réaliser dans le meurtre symbolique de la civilisation. En une suite de nouvelles ou de contes, il esquisse le renouveau de l'humanité à travers sa vision déformée du monde.

Dans le chaos d'une nouvelle fin des temps, Stan Potts s'est réfugié dans une petite station balnéaire, en compagnie d'une bande de marginaux. Par un camaïeu impressionniste, Keith Roberts nous décrit la psychologie de ces êtres qui s'aiment et se haïssent. Il se dégage, de cette première partie, un je ne sais quoi de nauséeux. Ces hommes, ces femmes sont incapables de cerner le réel qui les entoure. À l'approche du cataclysme, ils ont atteint une sorte de maturité schizophrénique qui les isole.

Potts est un grand artiste créateur. Un coup de pistolet constitue un acte surréel majeur. Aussi, quand il se plantera le canon de son revolver dans la bouche, fera-t-il, en imagination, sauter le caisson de l'humanité. Puis il rêvera…

"Singe, Pru et Paul" décrit la tentative de reconquérir la connaissance par un génie sans passé, Singe, dans un total état d'hébétude et de dénuement. Avec un acharnement dérisoire, il se plongera dans les livres et les cartes pour reconstituer le puzzle de la civilisation perdue. Mais, une fois terminée, l'image n'a plus aucun sens. Les symboles de la Culture ne constituent qu'un absurde graffiti quand les hommes qui l'ont créé auront disparu. Notre vision du monde ne réside que dans sa perception immédiate. Singe mourra, par obstination, en découvrant qu'il ne peut plus faire coïncider son regard d'homme primitif avec celui des civilisations qui l'ont précédé.

Mais, pour les successeurs de Singe, la découverte du mot amène l'invention de Dieu, permet d'instaurer des religions. Après la grande catastrophe, le jeu éternel continue. Dans "la Maison de Dieu", Keith Roberts s'interroge. Vaut-il mieux se passer de divinités plutôt que de laisser aux prêtres et aux rois le soin d'en devenir les propriétaires afin de tyranniser leurs peuples ? Mata, la jeune prêtresse, sacrifiera son Dieu pour se prouver que foi et pouvoir font bon ménage quand certains puissants ont l'astuce de s'immoler sur l'autel de la politique.

Puisque toutes les conditions historiques sont réunies pour que s'instaure une nouvelle ère médiévale où peuvent s'épanouir librement les héros et les génies, les fous et les rois, les fourbes et les fées, Stan Potts ne s'en prive pas. Cette époque de relative liberté où le cérémonial de l'existence n'est pas entièrement déterminé par un trop grand nombre de lois sociales, lui apparaît comme une sorte d'âge d'or de l'humanité qu'il vaudrait mieux ne pas dépasser. Qu'importe que meurent et souffrent les personnages secondaires, ils permettent aux titans de s'épanouir, de réaliser la légende.

Dans cette épopée du temps qui recommence et qui se stabilise, renaîtront les protagonistes d'une autre Table ronde dont on ne connaîtra jamais le Graal. Où va Rand, le roi ténébreux et son danseur prêtre ? À la recherche des fantômes d'un passé qui ne surgira jamais plus. Pour lui, la solitude est au bout du royaume. Qu'est-ce qui fait courir Usk, le bouffon, sinon le désir d'une inaccessible royauté, que tente le roi Marck en épousant la Terre ? Veut-il prouver que l'homme ne doit jamais s'éloigner de ces amours féeriques avec la planète, qu'il y trouve sa vraie plénitude ? Ou bien comprend-il qu'en la métamorphosant en déesse, il fait courir aux hommes un ultime danger ?

La rêverie interminable de Stan Potts, dans ces contrées fumeuses où dort un passé oublié, l'enlise, de conte en conte, dans une étemité sans cesse recommencée, dont il ne pourra jamais espérer voir la fin, même au-delà de la mort. Et Keith Roberts, formidable obsédé textuel, l'accompagne dans ce voyage au bout de l'humanité. Dans sa rage d'écrire, il effiloche les fantasmes irascibles du vent.

Pour cette vigueur, les Géants de craie constitue une fresque sauvage et trouble dont on conserve un souvenir convulsif. Tout frémissant d'une rage intérieure à ne point trouver les clés du futur, Keith Roberts pousse son interrogation du passé jusqu'en ses conséquences ultimes. Sans y découvrir le moindre au-delà philosophique ou politique. Malgré la force et la beauté du livre, je ne peux m'empêcher de penser que c'est dommage.

Et maintenant, un peu de cinéma, avec le remake de King Kong. Pourquoi King Kong et pas L'Âge de cristal, sorti au même moment. Parce que la simple vue de ces costumes d'opérette pour superproduction des années trente dont sont vêtus les personnages de ce film m'a donné envie de vomir. Rétro n'en faut.

« Qu'est-ce à dire, King Kong n'est pas rétro ? 
—  Pas du tout, ce sont les sectateurs inconditionnels et béats de la première version qui le prétendent. 
—   Alors, vous préférez la seconde ? 
—  Toutes les deux présentent un intérêt comme peut l'être, d'une manière générale, le retraitement d'un thème éternel. La première version était belle comme une sculpture primitive, la seconde est un merveilleux produit de la technologie la plus récente. 
—  Vous ne croyez pas que ça se démode, la technologie ? 
—  Regardez une automobile de 1910. Ce n'est pas parce qu'elle est démodée qu'elle est moins belle, voyez la première version de King Kong, elle reste toujours admirable. 
—  Vous vous contredisez. 
—  Pas du tout ! Une œuvre primitive ne résulte-t-elle pas d'une certaine technologie ? 
—  Mais le mythe, le mythe, n'échappe-t-il pas à votre maudite technologie ? 
—  Je ne crois pas, si vous faisiez une comparaison sérieuse entre les mécanismes qui permettent de manœuvrer le premier et le second Kong vous verriez qu'ils sont nettement en faveur du second. 
—  Décidément, quand on vous parle de dieu, vous sortez votre machinerie. 
—  C'est normal quand on aime la SF 
—  Alors, pour vous, les rapports de Fay Wray et de Jessica Lange avec Kong se réduisent à un affrontement technologique ? 
—  D'une certaine manière, on ne peut pas le nier, c'est tout le problème du film. Quand deux civilisations qui ont évolué chacune de leur côté selon des processus totalement différents se rencontrent, malgré la fascination qui les attire réciproquement l'une vers l'autre, il en résulte que l'une des deux est sacrifiée au profit de l'autre. 
—  Et vous trouvez ça moral ? 
—  Pas du tout, c'est pourquoi il est utile de traiter souvent les grands thèmes, pour tenter de découvrir une solution. »

Après ce dialogue dont je revendique l'entière paternité, deux nouvelles ; la première me concerne et vous vous en foutez : dans un numéro de la Croix sur la Science-Fiction française, je suis le seul auteur à être résolument traîné dans la boue par le Saint-Siège — je tairai, par pudeur, le nom de ceux que Dieu a reconnus. Il va sans dire, pour le créateur de la LIRA (Ligue pour le Renouveau de l'Anticléricalisme) que cette consécration est un véritable réconfort.

Deuxième nouvelle : il paraît qu'on prépare un Guide Michelin de la Science-Fiction française. Fans, auteurs, traducteurs, anthologistes, grouilleurs de toutes sortes y seront recensés. On y découvrira d'excellentes adresses gastronomiques, même chez les végétariens.

Ah ! j'allais oublier l'essentiel, on vient de me faire un dessin, en hommage à ma chronique. Voilà une correspondance qui fait plaisir, je peux la regarder tous les jours sur mon mur.