Jacques Barbéri : Narcose
roman de Science-Fiction, 1989
- par ailleurs :
Chose étrange, alors que les Français en majorité boudent et reboudent la Science-Fiction, genre majeur, jamais voyants extra-lucides, gourous, mages, sorciers vaudou, cartomanciennes n'ont obtenu une telle vogue auprès de nos concitoyens. D'une part, ils accusent la SF d'offrir des visions de l'avenir inacceptables, d'évacuer la réalité en théorisant sur l'impossible, de l'autre, ils se réconfortent sur leur sort à l'aide de prédictions imbéciles. Cela doit être un effet de l'esprit cartésien : confondre la logique avec l'aveuglement schizophrénique.
Les schizos de la SF, eux, sont parfaitement conscients de leur état ; c'est pourquoi ils en jouent, ils en jouent, tels des manipulateurs dans un théâtre d'illusion, sachant que les miroirs ne réfléchissent pas forcément en terme de réalité.
Jacques Barbéri est sans doute l'un des plus allumés d'entre tous. Déjà, avec une Soirée à la plage, il nous avait offert un éventail de ses capacités littéraires en pipant les dés du récit par son art des ambivalences et du paradoxe. Il récidive avec Narcose, roman des apparences et des changements à vue, où la plage tient lieu d'ombilic des rêves, comme dans son œuvre précédente.
Anton Orosco est une crapule ordinaire, né dans une ville-rêve manipulée par les Têtes molles du premier niveau qui gouvernent le monde. À Narcose, l'une des trois villes-sphère avec Nitrose et Névose qui ont subsisté au cataclysme (bien entendu). Ses magouilles découvertes, Orosco n'a plus qu'à s'enfuir. Mais où ? Car tout est piégé dans la société et celle des marginaux ne vaut guère mieux. Changer de vie changer de corps à quoi bon puisque c'est encore moi qui moi-même me trahis, pense Orosco à l'instar d'Aragon (Louis). Passant de l'idée à l'acte, il va s'embarquer dans une course à la chirurgie plastique afin d'échapper à ses poursuivants, jusqu'à terminer dans la peau d'un lapin. Comme le dit le prière d'insérer : « Le problème est alors de savoir à quelle sauce il va être accommodé : à la sauce Tex Avery ou la sauce Lewis Carroll ? »
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Mais là n'est pas l'essentiel, car chez Barbéri l'impatience d'écrire l'emporte sur le soin de construire et ses épisodes à tiroirs pourraient lasser s'ils n'étaient soutenus par une invention verbale qui emporte l'adhésion.
Absorber, téter, tel est l'obsession du héros barbérien, recherchant à travers toutes les drogues son liquide amniotique perdu, cette plage intérieure où il rêvait/copulait en compagnie de sa jumelle incestueuse, Célia. Plutôt que de passer « une vie entière dans l'anus du monde où les rencontres ne sont que des pets qui s'évanouissent instantanément dans l'atmosphère »
, Anton Orosco ressent la nécessité de « planter l'ancre des rêves dans l'océan turbulent de la continuité »
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De ce constat est né ce livre hâtif et turbulent qui fait naître une saine fureur de lire. Pour un prix modeste, il apaise mieux qu'une consultation chez un charlatan de l'angoisse.