A.E. van Vogt : les Portes de l'éternité
romans de Science-Fiction, 1990
- par ailleurs :
On n'échappe pas à la querelle des anciens et des modernes, même si l'on apparaît comme ancien aux yeux des modernes et moderne à ceux des anciens. Il en est ainsi de Van Vogt, dont la réputation de damné con réactionnaire ne fait que s'enraciner à tort chez les lecteurs de ses derniers romans. Jeunes lecteurs qui n'ont pas eu la chance d'apprécier le saut quantique amené par ses chefs-d'œuvre en 1945. Par contre, Alfred Elton v.V. voit son aura s'accroître chez les vieux inconditionnels de sa modernité. Son public s'étend au-delà du genre, ce qui tend à prouver que l'obscur, le complexe, chez un auteur de Science-Fiction, ne constitue pas le moindre frein à l'ouverture de son œuvre vers l'universel. La publication d'un "Omnibus" aux Presses de la Cité contenant les trois volumes du Cycle du Non-A et les deux du Cycle des Marchands d'armes devrait offrir une nouvelle rampe de lancement capable de remettre Van Vogt sur une orbite géostationnaire, dont le vaste champ opérationnel réduira les contestataires par une lecture/relecture salutaire de ses romans majeurs.
Je ne tenterai pas de résumer ici en quelques mots les intrigues en forme de trou noir de ces cinq romans où se débattent Gilbert Gosseyn et Robert Hedrock, héros van vogtiens plus que Van Vogt n'aurait su l'être. Jacques Goimard, dans l'une de ses préfaces-fleuve qui créent le charme de ses soirées, fait le dos rond sur la question, bien au chaud sur le coussin douillet de ses connaissances pour ronronner un texte d'une qualité toute universitaire. Avec lui, vous serez initiés aux rapports de l'œuvre avec la biographie, avec la sémantique générale, vous saurez comment la dianétique s'applique à la littérature.
À partir de cette analyse, je voudrais relancer le débat. En effet, si Goimard insiste sur le rôle détonateur de Van Vogt dans la SF américaine, son influence essentielle sur Herbert, Dick et Farmer, j'aimerais renchérir sur une originalité fondamentale du Monde du Ā : c'est l'un des premiers “romans” surréalistes. Et quand je dis “surréaliste”, je ne m'appuie ni sur le fond ni sur la forme, mais sur les méthodes de création de l'écrivain, alliant l'écriture automatique à des procédés proches de Raymond Roussel. Dans ses textes, dans l'excellent entretien qu'il donna à Robert Louit et Antoine Griset dans le numéro 143 du Magazine littéraire en 1978, Van Vogt ne cesse d'affirmer le pouvoir de l'inconscient sur son travail, révélant comment il s'obligeait à se réveiller quatre fois par nuit afin de solutionner par le rêve les impasses où le conduisait son inspiration. Proclamant combien il s'attachait à accumuler des idées sans lien afin d'en obtenir de nouvelles par une sorte d'éclatement sémantique dans la cornue de son imaginaire. Tout, dans cette œuvre, implique une volonté de sortir des schémas autoritaires de la Science-Fiction d'alors en privilégiant la liberté conceptuelle de l'écriture sur toute forme de rationalisme. Tout le reste est littérature. Ceux qui voudraient aujourd'hui ramener le genre à ses fondements archaïques feraient bien de réfléchir. Van Vogt l'a fait définitivement exploser. Il a liquidé la Campbell soup de la SF avec le même radicalisme qu'Andy Warhol.