Kim Stanley Robinson : Mars la rouge (la Trilogie martienne – 1)
(Red Mars, 1992)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
S'atteler à l'épopée martienne après Edgar Rice Burroughs, Heinlein et Bradbury [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ], c'est faire preuve d'une réelle témérité, sinon d'une inconscience délibérée. Kim Stanley Robinson, doué d'une boulimie peu raisonnable pour la page imprimée, démontre qu'il est possible d'associer les deux en publiant Mars la rouge, premier volume d'une vaste trilogie. Celle-ci s'appuie sur un énoncé que je résumerais ainsi : une station de recherche scientifique sur une planète étrangère est un modèle réduit de l'utopie préhistorique. Mais ce genre d'utopie, fort onéreuse pour notre époque, véhicule les intérêts divergents des États et des sociétés “transnationales”. Comme l'économie sert à justifier la structure du pouvoir, on verra bientôt comment un rêve de pionnier se transforme en cauchemar climatisé.
Climatisé, car, malgré les ambitions des terraformeurs, changer un astre mort en planète habitée sous atmosphère exige d'abord d'en passer par des tenues pressurisées, des villes sous globe. D'où la fragilité des positions politiques extrêmes. Les progressistes, les révolutionnaires sont vulnérables au moindre accroc de leur tissu protecteur.
C'est ainsi que périrent peu à peu les Cent Premiers qui amarsirent, du mythique John Boone au rusé Frank Chalmers. Ils incarnaient l'espoir d'une société différente, autonome, que n'atteindraient pas les miasmes purulents de la planète mère, les intérêts primaires d'une clique au pouvoir. L'exploitation des ressources minières, l'immigration sauvage les a fauchés dans leur élan idéaliste.
Le souffle de l'épopée ne s'invente pas. Kim Stanley Robinson ne s'est pas laissé troubler par le tourbillon des intrigues, le tumulte qui accompagnent une entreprise de cette envergure. Sa maîtrise des connaissances scientifiques qu'il distille subtilement, son pouvoir de suggérer les paysages martiens, de révéler leur étrange splendeur, le traitement psychologique des personnages majeurs, produisent une mécanique littéraire quasiment parfaite. Grâce à une traduction fluide, elle acquiert en français le son du moteur turbo. De l'ouverture à l'allegro vivace final, ce premier tome inspire l'envie de lire les autres mouvements.