Richard Matheson : À sept pas de minuit
(Seven steps to midnight, 1993)
roman fantastique
« Au milieu de tout ce qui composait la réalité, il formait comme un îlot de démence imminente. »
Tel est le sentiment de Chris Barton, héros d'À sept pas de minuit en proie aux turbulences littéraires de son créateur, Richard Matheson. Ce dernier roman se présente en effet comme une œuvre cultivée et paranoïde où l'écrivain, s'identifiant à son principal personnage, tente de manipuler le scénario du film d'épouvante où il s'est emprisonné afin d'en réchapper.
Si l'on se réfère aux multiples épisodes de la Quatrième dimension qu'il écrivit, à Duel où il collabora avec Spielberg, il est évident que Matheson s'incarne tout entier dans ces pages, avec ses obsessions et son génie singulier, ses inclinations. Passionné de SF et de Fantastique, amateur d'Hitchcock, touriste américain s'embarquant vers une Europe brossée par Hollywood, il nous concocte un thriller superbement troussé, prêt à tourner, un rien désenchanté. À chaque rebondissement de cette aventure infernale, on devine que Chris Barton, en proie à de dangereux glissements de réalité, peut sortir de la page et se retrouver à la place de Matheson en train de taper sur son clavier. Une histoire funambulesque de mathématicien génial en panne d'inspiration, à qui de nombreuses factions adverses offriront l'occasion de s'éclater, au propre et au figuré.
Pourtant, À Sept pas de minuit ne peut se résumer au brillant exercice de style d'un auteur frappé de nostalgie, car ce feu d'artifice contient trop de pétards mouillés. Derrière le simple récit de suspense, se révèle une puissante inquiétude : celle d'un homme vieillissant qui voit le monde lui échapper, ses repères disparaître, sa propre existence s'effilocher, son être s'effacer dans le souvenir des autres et qui tente de revenir à la vie par l'écriture. En raison de cette tension sous-jacente, ce roman bulle d'évasion traite d'une angoisse particulière : l'écrivain survit-il dans ses fictions ou ses fictions lui survivent-elles de manière autonome ?