Greg Bear : l'Envol de Mars
(Moving Mars, 1993)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Certains romans se méritent, car la rigueur de leur construction s'oppose au charme de la lecture. La progression calculée du récit amène l'auteur à livrer ses atouts au compte-gouttes, à tricoter au petit point la psychologie des personnages, sans se soucier de la lenteur que ce travail d'orfèvre impose au rythme. Au risque d'apparaître didactique, l'écrivain s'ingénie à délivrer une masse de données politiques, scientifiques afin d'étayer son univers. Bref, pour apprécier ces fictions-fleuve, le lecteur doit se laisser emporter par le courant, au hasard de ses flâneries. C'est en débouchant sur l'océan qu'il comprendra la beauté du voyage.
L'Envol de Mars fait partie de ces œuvres. Greg Bear nous avait habitués jusqu'ici à plus d'émancipation par rapport aux canons de la mode made in USA. Les fortes idées spéculatives à l'origine de la Musique du sang et la Reine des Anges ne s'appuyaient pas sur une lourde machinerie. Ici, par exemple, les cent premières pages sont consacrées aux amours adolescentes de Casseia Majumdar et de Charles Franklin, au cours d'une révolte étudiante dans une université martienne. Était-il vraiment utile d'affecter le quart du roman à cette idylle banale ? Surtout pour authentifier une société plus mature que la nôtre, puisqu'elle comporte des thérapiés, des transformés, des rehaussés, des natsups dans la catégorie humain. Des penseurs dans la catégorie robot supérieur. Certes, ces jeunes gens évolués joueront ensuite un rôle majeur dans le fantastique conflit qui va opposer la planète rouge à la Terre, au moment de la Grande Vague d'expansion vers les étoiles. Les enjeux seront d'une autre envergure. Ni plus ni moins que d'amener les particules à réfléchir sur le sens de leur description, de pincer le continuum de Bell pour jouer avec la matière-miroir et de manipuler la mécanique céleste pour changer d'environnement stellaire.
Mais j'aurais tort d'insister sur ce défaut mineur. Par ses développements ambitieux, sa thématique originale, ses spéculations biologiques et aréologiques, la richesse de ses aperçus quantiques, l'Envol de Mars se classe au premier rang dans la catégorie Science-Fiction sans concession. Et cette qualité se paye au prix de l'ascèse. D'autant que les quatre derniers mouvements de cette symphonie martienne s'infléchissent vers le chef-d'œuvre.