Greg Bear : les Enfants de Darwin
(Darwin's children, 2003)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Tout lecteur de SF se souvient ou presque de l'Échelle de Darwin, paru voilà plus de deux ans, qui proposait sur un mode tendu d'intéressantes spéculations sur le devenir de l'homo sapiens, has been de l'évolution. Un rétrovirus agit-prop, SHEVA, l'incitait à muter, créant des enfants d'une espèce différente.
Je ne ressens guère d'intérêt pour les suites qui ne sont souvent que des séquelles. Grâce au talent de Greg Bear, les Enfants de Darwin échappe à la déshérence. Ce partisan du roman-fusion, étroite imbrication entre Science-Fiction et littérature classique, s'en tient d'abord à la conjecture, même s'il y mêle des aperçus sentimentaux. L'effet “boul'd'hum” (bouleversant d'humanité) qui fait tant de ravages parmi nos écrivains post néo-naturalistes n'a pas encore frappé un cerveau exigeant qui maîtrise son logiciel de traitement de texte.
Car c'est indéniable et cela m'effraie, le ton “Microsoft Word” s'impose peu à peu sur tous les fronts. Pour un détective du style, il n'est pas difficile d'interpréter comment travaillent déjà la plupart des producteurs de romans commerciaux. À chaque jour son lot de prose qu'il suffit ensuite d'enchaîner sur le fil agglutinant d'un synopsis, grâce au couper-coller, au glisser en loucedé pour obtenir un ouvrage rondouillard et inodore.
Mais revenons à nos shevistes, à leur douloureux internement sous la pression de l'opinion et des hommes politiques. SHEVA ne serait-il pas une résurrection du péché originel ? Chaque tête est mise à prix un million de dollars. Dans cette atmosphère de persécution, de camps de concentration déguisés en école, nous suivons pas à pas l'histoire de Stella, onze ans, fille de Kaye qui comprit l'origine virale de la mutation, et de Mitch qui en retrouva les vestiges comparables lors de la disparition des néanderthaliens. Stella et les siens ignorent les tourments propres à l'espèce humaine, en particulier le sens de la compétition. Ils ne pressentent pas encore quel sera leur avenir. Pour eux, l'essentiel est d'utiliser les moyens spécifiques de leur métamorphose pour se comprendre : éphélides qui frémissent sur le visage, hyperolfaction, double idéation du langage, formation de clans éphémères qui favorise une société originale.
Jusqu'au moment où intervient la puberté de Stella, donc la perspective d'une deuxième génération de mutants.
À cet instant se révèle l'intention du romancier, qui dissimule dans sa manche un troisième tome. Car, au lieu de se disperser en épisodes redondants, certes fort bien troussés pour entretenir le suspense, en dialogues hard science vraiment “hard”, l'auteur aurait pu enrichir les Enfants de Darwin en traitant directement du problème fondateur de tous les romans sur ce thème : comment l'Homme et son successeur trouveront-ils une voie d'entente ? Espérons donc une suite qui ne saurait être que passionnante, vu l'esprit résolument anticipateur de Greg Bear.