Robert Holdstock : le Souffle du temps
(Where time winds blow, 1981)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Je me demande pourquoi le Souffle du temps, publié en 1981, n'a pas été traduit plus tôt, alors que tant d'indignités encombrent les rayons spécialisés des librairies. À mes yeux, il marque une date dans l'histoire de la SF.
On découvre en projet dans ce roman les créatures issues de la “pensée faite substance”, devenues trois ans plus tard l'objet de l'œuvre majeure de Holdstock, la Forêt des mythagos. Elles sévissent sur VanderZande, planète à la nature hostile, carrefour de migrations aux confins de l'empire. Mais ici, elles s'attaquent à la matière même du temps, créent des vents qui transportent des morceaux de civilisation au cœur d'un rift. Appareils, vaisseaux, choses bizarres, fragments de maisons, de constructions, de villes disparaissent aussitôt qu'aperçus. Vents mortels pour les chercheurs bardés d'armures qui arpentent les lieux afin de recueillir ces artefacts, découvrir des indices, comprendre comment et pourquoi s'organise ce kaléidoscope temporel. Léna, Léo, Kris et leur chef d'équipe, Ensalvion, vont subir les lois de ce métier redoutable. Car il semble que ce monde aux pouvoirs catalytiques fasse office de transfert quasi sexuel entre leurs souvenirs, leurs peurs et l'exaltation de la découverte.
En Science-Fiction, l'essentiel est d'approcher le moment où l'on décolle du réel par la magie de l'écriture. Chez Holdstock, l'art d'amener le lecteur aux limites de l'assimilable par une pensée humaine tient à un phénomène d'induction et de contamination qui s'attaque aux sens et à l'intelligence. Sa justesse de ton, son adresse dans la manipulation de concepts nouveaux préparent progressivement l'adéquation de l'esprit à un mystère partiellement dévoilé. De son style surgit en direct l'émotion que l'on éprouve à l'évocation de mondes imprévus, de manifestations invisibles, de lieux ignorés où tout est étrange. L'impression d'inconnu, le déplacement des repères nous transforment en étrangers, en intrus. De ce changement de point de vue naît la sensation de côtoyer l'indicible. Il n'est pas nécessaire qu'elle recouvre la totalité du roman.
En effet, un chef-d'œuvre ne se mesure ni à la longueur ni à la durée. Il peut être apprécié comme tel, une journée, des mois, plusieurs années, quelques siècles, voire des millénaires, c'est une affaire de transmission entre les générations pour qu'il atteigne à l'universel. Mais, pour le lecteur lambda, le chef-d'œuvre n'existe qu'à son intention. Qu'importe l'appréciation des autres. Ce qui compte, c'est l'instant où son imagination, sa pensée, ses sentiments s'identifient tellement au travail d'un écrivain qu'il croit n'avoir jamais rien lu d'aussi fascinant. Le chef-d'œuvre intime ne se matérialise qu'à travers un acte d'appropriation personnelle. Ainsi en est-il pour moi de ce superbe texte où l'équilibre entre l'invention poétique, la réflexion métaphysique, les relations, les conflits entre les êtres s'exercent hors des schémas stéréotypés. Il ouvre une voie à la SF psychanalytique.