Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 50 Serpentine 2/2

Keep Watching the Skies! nº 50, janvier 2005

Mélanie Fazi : Serpentine

nouvelles fantastiques

 détail bibliographique dans la base de données exliibris

 chercher ce livre sur amazon.fr

chronique par Pascal J. Thomas

Je commencerai par ce qui me déplaît dans le recueil de Mélanie Fazi — et qui tient à mes défauts plus qu'aux siens : elle est trop littéraire. Loin de se satisfaire de l'exposé de l'intrigue, ou de l'angoisse du suspens, elle construit des histoires qui finissent parfois dès qu'elles ont commencé — ou pour parler plus précisément, dès que le lecteur arrive à savoir ce que depuis le début savait le narrateur —, des histoires bâties sur des situations simples — mais pas ordinaires —, et dont la matière se situe dans la patiente exploration des sentiments des protagonistes. Avec beaucoup de brio dans le langage, mais aussi le risque que la voix explicative de l'auteur l'emporte sur les actes démonstratifs des personnages, surtout quand le récit est à la troisième personne — c'est loin d'être le choix majoritaire du recueil. L'auto-analyse, en revanche, court toujours le risque de l'artificialité.

Côté positif, je relèverai ce choix thématique axé sur le malaise (suicide ou assassinat d'adolescents, protagonistes-narrateurs travaillés par des pulsions meurtrières, revenants pas toujours conscients de leur propre décès), mis en scène dans des décors originaux. J'allais dire “modernes” ; mais leur qualité la plus marquante est l'impression de vécu ordinaire (une condition nécessaire, ou presque, de réussite du fantastique intrusif, plus connu aujourd'hui sous le nom d'“horreur”). Peu importe alors que la maison de famille en Italie ("le Faiseur de pluie"), ou le restaurant de Circé ("Mémoire des herbes aromatiques") puissent appartenir à n'importe quel siècle, à condition qu'il ait connu les phénomènes migratoires ; et ceux-là ne datent pas d'hier. "Petit théâtre de rame" (dans le métro parisien) et "Nous reprendre à la Route" (sur une aire d'autoroute) tirent, eux, profit d'un cadre résolument contemporain — et le deuxième le fait avec une force bien plus grande —, tandis que "Matildaé" distille les sentiments d'un spectateur de concert de rock avec beaucoup plus de finesse et d'intensité que n'avait pu le faire "En forme de dragon"1. A contrario, "Ghost Town Blues" souffre de son décor de carton-pâte, construit à coups de clichés de westerns ; reconnaissons que, selon la bibliographie utilement placée en fin de volume, il s'agit d'un des premiers textes publiés de l'auteur. D'ailleurs, bonne nouvelle, c'est plutôt parmi les inédits du recueil que l'on relève les points forts déjà cités, auxquels il faut ajouter "Rêve de cendre".

Lieu commun des lieux hantés, le crime inexpié est décliné ici de plus d'une façon. Quand nous ne passons pas de l'autre côté, derrière les yeux du criminel, incapable de se maîtriser ("Serpentine", "le Passeur"). Mais que des meurtres non pardonnés, images extrêmes propices à la construction fictionnelle, Fazi revisite les promesses trahies et les enfances déçues. Avec des variations suffisamment imaginatives et talentueuses pour être toujours intéressante, et sans relâche elle-même.

 lire par ailleurs dans KWS

Notes

  1. Ce texte, au sujet à vrai dire bien différent et beaucoup plus intimiste, a été publié dans Rock stars, anthologie parue aux éditions Nestiveqnen en 2003. Ce qui est postérieur à la parution de "Matilda" dans Douces ou cruelles ?, Fleuve noir, 2001.