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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 6 Rainbow man

Keep Watching the Skies! nº 6, janvier 1994

M.J. Engh : Rainbow man

roman de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Après des années de vie sur un vaisseau interstellaire (un environnement capable de se suffire à lui-même pendant les années de la traversée entre les systèmes planétaires), Liss décide de se fixer sur la planète Bimran. Elle en a assez des rencontres passagères avec des mondes et des gens que la distorsion relativiste de temps fera disparaître à jamais pour elle dès qu'elle les aura quittés, et Birman est un monde calme et riant, où tout le monde semble bien s'entendre. Seule petite note d'étrangeté : Liss est stérile, et cette particularité lui vaut d'être considérée comme un homme sur Bimran, et d'être vite surnommée “Rainbow Man” en raison de ses habits bariolés, qui tranchent sur les tenues grises ou beiges des autochtones.

Bimran est ouverte aux circuits économiques galactiques, utilise la langue standard — Engh décrit brièvement un fascinant arrière-plan d'une civilisation humaine totalement dispersée dans le temps et l'espace, et pourtant étrangement unifiée —, et donne aux visiteurs le visage d'une utopie anarchique : on ne paie pas d'impôt, et pourtant les rues sont propres et les gens serviables. Une sorte de Suisse, où les gens s'inscrivent bénévolement pour accomplir les tâches d'intérêt général dans leur quartier. Dans la Suisse du monde réel, le prix à payer pour le fonctionnement huilé de la mécanique sociale et la propreté impeccable des lieux publics autant que privés est une grande conformité d'opinion, un consensus général suffisamment fort pour imposer le comportement responsable que les superstructures n'arrivent jamais à imposer en France ou en Occitanie par exemple. Sur Bimran, la clé du consensus est l'adhésion à une religion qui rappellerait beaucoup un christianisme épuré, une sorte de Luthérianisme sans rituels, mais d'un puritanisme aussi impitoyable dans sa substance que discret dans ses manifestations extérieures. Liss découvre progressivement que les Bimranites n'ont pas le droit de quitter leur planète, et qu'un corps de “sélecteurs” est chargé d'administrer dans cette vie Paradis et Enfer, puisque la religion bimranite ne croit pas à un Au-delà… Les pires dictatures sont celles qui sont soutenues par une majorité de la population : la Suisse se transforme sous nos yeux en Arabie Séoudite, ou en Deep South — M. J. Engh n'a pas pu ne pas penser à la Moral Majority et autres mouvements religieux extrémistes américains en écrivant son livre. Mais son approche est différente de celle de John Barnes, par exemple, qui mettait aussi en scène une théocratie dans Passerelles pour l'infini : il y a beau avoir des dissidents — très discrets — sur Bimran comme sur Caledony, Engh ne nous laisse même pas entrevoir la possibilité d'une transformation sociale. Le roman se déroulera entièrement sur le plan d'une tragédie personnelle, celle de l'amour impossible entre Liss et un garçon charmant, Doron, qui se trouve être aussi un Sélecteur. Les discussions théologiques entre eux sont de toute beauté : on se surprendrait à approuver les points éminemment raisonnables et tout imprégnés de volonté de pardon des pêcheurs qu'avance Doron, jusqu'au moment où il parvient à des conclusions que la plupart d'entre nous avons du mal à accepter. Peu de suspense, donc — quoique les pages finales m'aient totalement accroché —, et peu de S.-F. à l'état pur, si on considère que ce roman aurait pu être transposé en Iran… Pourtant Rainbow man est un livre qui ne pouvait être écrit qu'en Science-Fiction pour mettre en scène un Iran aussi proche de nous. À sa façon modeste, c'est un sans-faute, un livre dont pas une page ne déçoit.