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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 10 Science fiction before 1900

Keep Watching the Skies! nº 10, février

Paul K. Alkon : Science fiction before 1900: imagination discovers technology

essai inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Paul K. Alkon est un distingué professeur de littérature anglaise à l'University of Southern California, spécialiste du xviiie siècle et du temps dans la fiction. Ce qui ne l'empêche pas de parler la S.-F. sans accent — il en lit depuis son jeune âge, et se rapproche avec chaque ouvrage de l'époque moderne du genre : son précédent livre, Origins of futuristic fiction, examinait une série d'ouvrages dont le plus récent datait de 1834 ; celui-ci étudie un petit nombre d'ouvrages du xixe siècle qui, chacun à leur manière, mettent en place certains des éléments constitutifs de ce que nous appellerons au xxe siècle "Science-Fiction".

Alkon sait très bien ce qu'est la S.-F., et se risque même à donner, en s'appuyant sur les travaux de Darko Suvin, une définition normative (qui dit ce que la S.-F. doit être, ou plutôt ce qui en fait l'essence) ; la S.-F. « calls into question our sense of the world as it is » et « invite[s] readers to adopt a critical outlook with strong affinities to the scientific method » (p. 11). Il n'est pourtant pas question d'utiliser des faits scientifiques vérifiés ni même forcément vraisemblables ; comme le faisait remarquer Percy Shelley dans sa préface de l'édition de 1831 de Frankenstein, l'animation du monstre « however impossible as a physical fact, affords a point of view to the imagination for the delineating of human passions more comprehensive and commanding than any which the ordinary relations of existing events can yield » (cité par Alkon, p. 5). Voici la S.-F., au passage, nettement séparée de la Fantasy, sans qu'Alkon ignore les problèmes posés par des œuvres éventuellement récentes comme Compte Zéro de William Gibson. Et, soit dit en passant, une bonne raison pour les critiques de s'intéresser à la S.-F. ancienne : on y décèle parfois mieux, sous leur forme primitive, les ressorts fondamentaux du genre.

Les premières pages consacrées à Frankenstein donnent le ton du livre : érudition mais clarté de l'expression, modération mais lucidité, et une perspective intellectuelle qui embrasse toujours les stades consécutifs de l'évolution littéraire. Alkon peut se permettre de concentrer son propos sur quelques œuvres-clés : Frankenstein de Mary Shelley, Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, le Vingtième siècle d'Albert Robida, l'Ève future de Villiers de l'Isle-Adam, Cent ans après d'Edward Bellamy, un Américain à la cour du roi Arthur de Mark Twain, et la Machine à explorer le temps et la Guerre des mondes de H.G. Wells. Leurs prédécesseurs (parmi lesquels, en un sens, Defoe, Swift et Edgar Allan Poe) et leurs innombrables seconds violons ou successeurs seront brièvement évoqués, suffisamment pour mettre en évidence leurs liens. On peut, bien entendu, regretter des semi-absences comme celle de Rosny aîné, brièvement évoqué.

Mais Alkon a l'immense mérite d'être un des rares critiques américains de S.-F. à attaquer simultanément l'étude de la S.-F. française et anglophone ; il pousse le goût — avoué — du paradoxe jusqu'à classer la France sous la rubrique “technophilie” et l'Amérique sous celle de la “technophobie”, tandis que l'Angleterre de Shelley et Wells — aux deux extrémités du siècle — se voit créditée de la production de nouveaux points de vue, production essentielle pour les directions que peut prendre le genre qui, dans les années 1890, commence à être bien établi.

Si Alkon porte une attention extrême au développement des racines de la future S.-F., il ne réduit cependant jamais un livre à ceux de ses éléments qui s'inscrivent dans sa démonstration, et en donne toujours une vision complète, sans indulgence ni hostilité, mais non sans humour. Il faut dire que certains livres s'y prêtent, comme ce Vingtième siècle qui est peut-être son choix le plus original au niveau du corpus — il n'est pas facile de ne pas se laisser influencer par le poids des rééditions et des gloses accumulées, Wells, Shelley et Verne étant particulièrement bien pourvus de ce point de vue.

Signalons justement enfin qu'Alkon fournit en fin de volume un guide concis des œuvres critiques — voire des écoles critiques — existant déjà sur le sujet qu'il traite ; il se fend également de notices sur les auteurs, d'une chronologie, d'une liste de titres recommandés et d'un index. Armé de ce mince volume, l'étudiant aura une vision remarquablement globale de la proto-S.-F. du xixe siècle en langues française et anglaise, une vision infiniment plus claire que celle fournie par un recensement exhaustif des œuvres victoriennes relevant du genre.