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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 10 Fanny Stevenson

Keep Watching the Skies! nº 10, février

Alexandra Lapierre : Fanny Stevenson

biographie ~ chroniqué par Micky Papoz

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C'est l'année Stevenson. Le fabuleux auteur de l'Île au trésor, de Voyage sur un âne dans les Cévennes et surtout du fantastique récit du Docteur Jekyll et mister Hyde, jamais égalé, se voit mis à l'honneur pour le centième anniversaire de sa mort. La plupart des éditeurs se sont ingéniés à rééditer ses livres en collections pour adultes ou enfants, car l'auteur fut longtemps considéré comme un romancier pour la jeunesse, à cause d'un différent avec un ami, ce qui faillit ruiner sa carrière.

Fanny Stevenson, sa femme, suscita nombre de passions. Tantôt muse et madone, ou bien mégère et virago, elle fut tout d'abord l'épouse de Sam Osbourne, un avocat qui se passionnait pour les femmes et les pépites d'or. Fanny partit le rejoindre avec leur première fille, Belle, en Californie. Voyage plus qu'épuisant quand on pense qu'elle dut d'abord parcourir une partie des États-Unis, de Chicago à New York, en train, avant de s'embarquer sur un bateau et d'affronter une terrible traversée par la mer des Sargasses, le canal de Panama, le Pacifique, jusqu'à San Francisco. Elle prit alors une diligence pour rejoindre Sam à Carson City, puis à Austin.

Fanny aimait Sam, lui aussi. Pourtant, c'était un coureur de jupons dont Fanny accepta pendant un temps les liaisons avant de le quitter pour se rendre en Europe avec ses trois enfants. Deux garçons étaient nés entre temps. Sa fille Belle souhaitait apprendre la peinture et Fanny également. À son arrivée à Anvers, Fanny apprit que les femmes n'étaient pas admises à l'académie. Qu'importe, puisqu'elles pouvaient prendre des cours particuliers.

Fanny était une femme si extraordinaire dans son comportement qu'elle suscitait l'amitié jusqu'à la dévotion. Elle ne s'embarrassa jamais d'une once de préjugé social, elle refusa toujours d'appartenir à une classe quelconque. Elle était l'antithèse d'une intellectuelle et elle ne sacrifia jamais au snobisme. Qualités qui firent certainement que Stevenson s'attacha à elle malgré leur différence d'âge. Fanny ne s'intéressait aux êtres que pour les émotions qu'ils produisaient en elle. Lors de son séjour en Europe, Sam, le mari de Fanny, oublia souvent de lui envoyer la pension promise. Si Fanny acceptait ses liaisons, lui, pour sa part, était d'une jalousie peu commune. Fanny perdit son fils Harvey, et Robert Louis Stevenson, qui avait tout abandonné pour elle, famille et déjà célébrité, pour la rejoindre aux États-Unis, écrivit à son avoué, en 1884, puis en 1886, de prolonger la concession de la tombe de l'enfant qu'elle n'oublia jamais.

C'est à Grez, en France, que Fanny rencontre Robert Louis Stevenson, dans une modeste pension où la fleur de la bohème et du quartier latin se retrouve chaque été. Les jeunes gens fuient Barbizon, devenue le royaume du snobisme, comme certains évitent maintenant Saint-Tropez. Parmi ces jeunes gens que Fanny fréquente, il y a Henley, l'homme qui découvrira Kipling, Conrad et, bien sûr, Robert Louis Stevenson.

Fils unique, enfant fragile, couvé par sa famille, il parcourt l'Europe à pied. Londres, Paris, Menton, Barbizon, Grez. C'est l'enfant chéri du groupe. Dès qu'on le présente à Fanny, il est fasciné. Elle a onze ans de plus que lui et, pourtant, elle ne lui cédera qu'au bout d'un an. Avant, elle sera sa secrétaire, son infirmière, sa collaboratrice, sa critique et surtout sa plus fidèle amie.

Sur ordre de son mari, Fanny doit repartir en Californie. Stevenson vient la rejoindre un an plus tard. Il arrive malade et sans argent, après s'être disputé avec sa famille. Il est squelettique. Fanny l'a fait venir ; pourtant, elle le chasse, lui expliquant qu'il y a des cas de diphtérie et qu'il risque, dans son état, d'attraper le terrible mal.

Stevenson quitte Monterey et part pour San Francisco où il écrit à un ami de lui envoyer cinquante livres sur les cent qui lui restent en banque. Pendant ce temps, Fanny s'occupe de divorcer. La procédure est longue … Stevenson s'enfonce à l'aventure dans l'arrière pays. Il campe près d'un ranch. Fanny doit renoncer à voir Stevenson pour ne pas être déchue de ses droits maternels. Elle a trente-neuf ans en 1879. Stevenson parcourt pendant ce temps les plaines de l'ouest, où il attrape la malaria, une pleurésie, de l'eczéma, auxquels viennent s'ajouter des rages de dents, la malnutrition, la solitude, l'angoisse. Qu'importe. Durant l'hiver 1880, après avoir écumé toutes les salles de rédaction sans obtenir de poste, Stevenson se voit acculé. Un article ou un poème paient sa chambre.

Fanny a enfin obtenu le divorce. Stevenson souffre d'une hémorragie pulmonaire. Fanny le pense perdu. Elle s'installe avec lui dans sa maison. Stevenson crache le sang ; elle le soigne avec le même dévouement qu'elle aura pendant quatorze ans. Les parents de son amant acceptent enfin leur union et allouent une pension de deux cent cinquante livres par an. Stevenson et Fanny décident de se marier. Ils partent pour l'Écosse où ils s'unissent en mer en 1880. Ils voyagent en Angleterre. C'est pour Sammy, le fils de Fanny, que Stevenson écrit l'Île au trésor. Le climat de l'Angleterre ne convient pas à Stevenson ; le couple part pour une longue course à la santé entre 1880 et 1884, de la Suisse à la France, des Alpes à la Méditerranée, avec des détours par l'Écosse, le sanatorium, les hôtels, la montagne. De son lit, Stevenson produit le Prince Othon, les Nouvelles mille et une nuits, a Child's garden of verses.

En 1884, le couple s'installe à Bournemouth. Durant ces trois années sédentaires, Stevenson obtient la renommée. C'est au sens critique de Fanny qu'il va devoir son chef-d'œuvre. Quand il lui lit le premier jet du Cas étrange du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, elle n'est pas satisfaite. « Tu passes à côté du sujet ! » lui dit-elle. Pendant trois jours et trois nuits, il réécrit son récit en suivant les conseils de sa femme : dépasser l'anecdote, sublimer le fantastique, viser à l'allégorie.

Dix semaines plus tard, le livre est publié. La semaine de sa parution, l'évêque de Canterbury fonde son sermon sur la parabole du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde. On croit rêver. Le London Times publie une critique de six pages. Quel écrivain peut se vanter de nos jours d'une telle démesure [1] ?

En août 1887, les époux Stevenson quittent l'Angleterre pour les États-Unis pour raison de santé. Stevenson crache le sang. En octobre, ils s'installent près de la frontière canadienne. Stevenson écrit le Maître de Ballantrae. Fanny scie du bois. Dehors, il fait moins trente, cet hiver-là.

En 1888, le couple est à San Francisco. Belle, la fille de Fanny, s'est mariée et vit à Hawaï. C'est le déclic pour Fanny : si Stevenson ne s'est pas remis à la montagne et dans le froid, c'est la mer et le soleil qui lui redonneront la santé. Le vieux monde ne reverra plus Stevenson. Le voilà parti avec Fanny pour une longue croisière qui les mènera des îles Marquises à Hawaï, de juin 1888 à janvier 1889. De janvier à juin 1889, ils résideront à Honolulu, où ils seront reçus par le roi, dont les livres de Stevenson enchantent les nuits.

La santé de Stevenson s'est améliorée. Il écrit la Flèche noire, les Veillées d'Océanie — où se trouve le conte de "la Bouteille magique" — ; il envisage même une croisière dans les îles Marshall et dans les îles Carolines. Il se rend même à Malokai, l'îlot maudit des lépreux. L'épisode est bouleversant. Fanny, terrorisée, ne l'a pas accompagné.

En décembre 1889, leur goélette aborde l'archipel de Samoa, puis voilà le couple qui pousse jusqu'à Sidney. Il y fait froid. Stevenson fait une nouvelle hémorragie pulmonaire. À partir de septembre 1890, le couple réside à Samoa où Stevenson écrit le Barrage d'Hermiston, qu'il ne terminera pas. Robert Louis Stevenson décède le 3 décembre 1894, veillé par sa femme Fanny. Il est enterré au sommet d'une montagne, selon son désir.

Avec Stevenson disparaissait un écrivain dont Marcel Schwob disait : « Son imagination a les audaces les plus subites et sa raison les plus logiques subtilités. ».

Mais la vie de Fanny Stevenson ne s'arrêta pas là. Elle vécut mille vies avant Stevenson, avec Stevenson, et après lui. Pourtant, jusqu'à son décès en 1914, elle continuera sa quête : conserver Robert Louis en vie. Robert Louis, son amour.

Fanny fut une magicienne qui marqua de sa griffe indélébile les hommes avec lesquels elle vécut. L'œuvre de Stevenson aurait été différente sans elle. Celle de son dernier compagnon, Ned Field (scénariste des Quatre filles du Dr. March) aussi. Il dira d'elle : « Elle était la seule femme au monde pour laquelle je puisse imaginer qu'un homme fut prêt à mourir. ».

Il la rencontra en 1903. Il avait vingt-trois ans. Il devient son secrétaire et, probablement, son amant. Fanny avait quarante ans de plus que lui. Le 29 août 1914, soit six mois après le décès de Fanny, Ned Field s'unira tout aussi étroitement à la mémoire de Fanny en épousant sa fille Belle. Elle avait cinquante-six ans, Ned, trente-quatre. Elle ressemblait trait pour trait à Fanny. Ned rendit riches les deux femmes et même milliardaires. Il avait fait placer les droits d'auteur perçus par Fanny dans de l'immobilier et des terrains sur lesquels on trouva du pétrole. Une véritable île au trésor…

Cette laborieuse critique n'est en rien comparable à la prodigieuse biographie qu'elle résume, tout aussi fantastique que les romans de Stevenson, l'écrivain des brouillards et des peurs, qui mourut au soleil de Samoa. Une biographie qui se lirait d'une traite si on était capable de déguster sept cent pages d'un coup.

À lire également le Stevenson édité dans la collection "Bouquins", où vous trouverez les deux merveilles que sont la Bouteille endiablée et l'Île aux voix.

Notes

[1] On serait curieux de savoir le nombre de lignes consacrées dans le Times au regretté Robin Cook, qui nous a quittés le 31 juillet dernier, auteur désespéré de livres tout aussi désespérés, dont le remarquable J'étais Dora Suarez.