Keep Watching the Skies! nº 11, avril 1995
Laurent Genefort : la Troisième lune
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel
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Techniquement parlant, c'est le meilleur roman que j'ai lu du Fleuve Noir en 1994. C'est peut-être bien aussi le meilleur roman que j'ai lu de la plume de Laurent Genefort, mieux écrit, mieux maîtrisé qu'Arago parce que moins ambitieux. Pourtant, il partage avec Arago un défaut rédhibitoire en ce qui me concerne. Quand le nihilisme est porté au point où il l'est dans ces romans, il n'est pas convaincant du tout, surtout que les histoires de Genefort ne témoignent pas de la réflexion (qu'on soit d'accord avec ou non) en évidence dans les livres d'Ayerdhal, un autre auteur de SF française aux yeux dessillés.
Mais, si le nihilisme ne vous dérange pas, il y a beaucoup à aimer et apprécier dans la Troisième lune. L'action se passe sur la planète Mars, après une terraformation réussie, dans un futur lointain. Le décor technoscientifique est parfaitement au point, sauf pour quelques points de détail qui ne passionneront que les ingénieurs. Une telle perfection dans la construction du décor est rare dans la SF française et mérite d'être soulignée.
Snaut, assassin professionnel, a été chargé d'abattre une personnalité politique de Mars qui contre les volontes d'une multimondiale. Pour couvrir ses traces, Snaut abat son clone afin de convaincre les policiers de sa mort. (Stratagème discutable vu qu'on apprend au cours du roman que les enquêteurs en chef sont à la solde de la multimondiale en question, ce que Snaut semble bien savoir. Cette touche relève justement du cynisme irréfléchi que j'épinglais plus haut.) Mais une erreur commise dans le feu de l'action donne la vie sauve au clone de Snaut, appelé Grous. Il rencontre Irena, qui le prendra sous sa protection pour ses propres raisons.
Ce qui s'ensuit relève de la chasse-poursuite, menée dans les règles et avec un brio indiscutable. Genefort approfondit les personnages principaux et il profite aussi des moindres incidents pour brosser un portrait fascinant de Mars. Dans la mesure où nous apprenons à la faveur du Grand Prix de l'Imaginaire de cette année que Genefort construit une histoire du futur, les indices qui permettent de lier ce roman aux autres de Genefort piqueront la curiosité du lecteur.
Par contre, la conclusion de Genefort est ratée. Il semble croire qu'il détient une révélation-choc, mais le lecteur perspicace aura deviné cette fin au moins vingt-cinq pages plus tôt. De plus, en essayant de ménager cette surprise, Genefort s'oblige à des contorsions navrantes, qui culminent à la fin du dernier chapitre, quand il manque une belle occasion de faire réfléchir son héroïne sur la moralité d'un geste possible.
Bref, c'est un roman de science-fiction complet, ce qui est rare en français. Toutefois, pour être un roman parfait, il lui manque de mettre en scène des personnages attachants. Grous est le seul qui soit le moindrement sympathique, et c'est facile vu que c'est un simple d'esprit.
Je termine donc ma série de critiques des livres du Fleuve Noir en 1994 avec mon commentaire sur le livre de Laurent Genefort, qui se détache nettement du lot que j'ai lu.