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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 13-14 la Guerre des cercles – 2

Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995

Jean-Claude Dunyach : la Guerre des cercles

roman de Fantasy ~ chroniqué par Dominique Warfa

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Voici une œuvre de Fantasy que j'ai bien aimée, mieux : que j'ai réellement dévorée (une minute de silence pour les incrédules qui ont définitivement rangé Warfa parmi les intégristes SF). Je n'ai jamais caché posséder un a priori, sans doute regrettable dans la pratique de genres littéraires censés nous ouvrir l'esprit, mais hélas bel et bien patent. Je hiérarchise mes lectures, n'ayant pas plus que quiconque (exception faite de celui qu'Arthur C. Clarke plaçait en boutade dans un asile d'aliénés, et encore), le temps de tout lire. Et j'ai la faiblesse de succomber à mes préférences, qui vont par exemple plutôt vers le dernier Bear d' "Ailleurs & Demain". C'est humain. Non ? Pour en finir avec cette précaution discursive, j'écarte donc systématiquement tout ce qui me semble présenter un rapport plus ou moins étroit avec gnomes et licornes.

Mais je suis également un médiéviste amateur assez forcené depuis qu'un lointain professeur d'ancien français me convertit, à l'Université, à la matière de Bretagne et au roman courtois. Lorsque j'ouvre un roman de fantasy, je commence toujours par chercher les référents historiques et/ou littéraires, s'ils existent. Je poursuis si j'en trouve, et je nage dans le bonheur s'ils présentent un quelconque rapport avec le Haut Moyen-Âge ou, mieux encore, la tradition celte. À condition que le récit évite tout à la fois les body builders au cerveau de colibri et les dérives à l'eau de rose. Difficile.

Jean-Claude Dunyach, duquel je n'attendais pas tellement un tel défi, nous offre avec la Guerre des cercles un ouvrage qui me satisfait totalement, et davantage ! Pas de celtisme ici, et l'époque médiévale qui l'inspire est plutôt celle de la fin d'une ère, de la chute d'anciennes valeurs vers les ténèbres du néant. Et c'est beau. C'est également violent, captivant et irritant à la fois car l'ambigüité des personnages emmène le lecteur vers des zones de l'esprit qui devraient répugner (ah ! ce plaisir de Koven dans le maniement des lames perforant les corps et répandant les entrailles…) et qui pourtant fascinent. C'est un récit noir, le roman d'une dégradation d'un monde, des choses et des êtres. Un univers se termine et bascule vers la part sombre de l'être humain.

Il n'y a donc ni gnomes ni licornes. Une elfille passe au début du récit, mais sa présence s'intègre dans l'ensemble, et surtout s'avère nécessaire à la suite, ce n'est pas une pièce rapportée destinée à gonfler l'aspect exotique du monde dépeint. Ce n'est pas si fréquent, me semble-t-il. Et Dunyach offre au lecteur qui peut le décrypter un substrat particulièrement intéressant à sa création, qui s'avère — entre référents et œuvre imaginative — des plus originales.

Mauvagine, la ville du Baron de Bronze, est assiégée par mes Seigneurs Sévères : ceux-ci, figures de la rigueur excessive et de la répression dans l'ascétisme, condamnent le baroque et la démesure de la cité et veulent l'effacer de la surface du monde, non sans profiter du pillage alléchant qu'elle leur promet. Koven, le mercenaire, a laissé une part de son esprit en otage de son ancien maître cartographe, Variadoly. Il entend la récupérer par tous les moyens, mais Variadoly est dans Mauvagine et Koven hors des murs. Comment résoudre son problème personnel avant que la guerre ne ravage Mauvagine ?

Jean-Claude Dunyach avoue avoir puisé à des sources bien précises, la stratégie de défense comme d'attaque provenant des chronique de la Croisade des Albigeois ou évoquant le siège de Carcassonne, cité qu'évoque à plusieurs reprises Mauvagine. Tout son art est d'avoir su intégrer et faire oublier ces emprunts “techniques”. L'univers de Koven n'est pas le nôtre : outre une présence obsédante des forces noires de la magie, des anachronismes voulus nous le signalent, comme l'existence et l'usage de la poudre, et donc le travail de sape, ou celle des mécanismes complexes à l'intérieur de Mauvagine, mécanismes de tuyauteries et de pièges qui forment une part de la défense de la ville.

Le rythme du roman et l'environnement ainsi offert à la progression du récit emportent rapidement l'adhésion, laquelle est encore étendue par l'intérêt des personnages principaux, l'exposition de leur caractère et de leur situation, leur incidence à l'intérieur de la narration, leur imbrication parfois ambiguë, ainsi que je l'ai signalé. Voilà un Moyen-Âge imaginaire propre à insuffler chez son lecteur un peu de son caractère épique interne, un monde que l'on verrait si bien mis en images par François Bourgeon (dont le cycle médiéval des Compagnons du crépuscule collerait remarquablement à l'atmosphère ici déployée. Variadoly, le maître-cartographe pervers qui prétend tenir l'univers dans sa poigne, Koven l'ancien apprenti devenu mercenaire, à la recherche de son âme, le Baron de Bronze, manipulateur qui paraît humain avant de se révéler avatar et incarnation de sa ville, tous offrent à la Guerre des cercles la galerie de personnages qui donnent vie à un récit d'une parfaite construction. Un régal.

À la façon de Rolling stone, le critique s'est ici mis en scène dans son article. Je ne recommencerais plus, promis.

Notes

››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 13-14.