Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995
Jean-Pierre Andrevon : la Trace des rêves
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial
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Les quatrièmes de couverture, ou les titres, sont parfois des actes de sabotages caractérisés, tuant le suspense, vendant la mêche, abîmant le travail d'un auteur. Ici, au Livre de poche, c'est l'illustration de couverture. Un homme et une femme, à demi-nus, armés d'un arc, d'une lance, face à la tête d'un énorme rat noir. Pour ceux qui n'auraient pas compris, des objets familiers jonchent le sol, des vis, des cables, un boitier électrique. Tout celà donne l'échelle. Et la tête de rat indique que l'on est très probablement sur notre planète. Or, tout le roman est une quête de la vérité.
Des hommes se réveillent — on peut avoir l'impression qu'ils sortent d'une longue hibernation. Ils connaissent leurs noms, ne se souviennent pas de grand chose, explorent le monde, rencontrent des animaux souvent énormes, dangereux, se défendent, tuent, mangent, avancent, rencontrent un autre groupe, composé de femmes, découvrent l'amour, rencontrent d'autres hommes, noirs, découvrent la haine, les insultes racistes, la guerre, puis l'amitié, la solidarité. Ce qui permet, tout naturellement, de parler de liberté sexuelle, d'égalité entre les sexes, d'acceptation des choix de chacun, le tout sans sermon, naturellement, comme on décrit. Et Andrevon sait décrire, en accompagnant pas à pas ses personnages, sans déraper, sans préchi-précha.
Évidemment, on aimerait oublier la couverture. Ne pas se dire que l'on a affaire à des humains hauts de quelques centimètres, sur une terre qui est manifestement la nôtre, avec des fourmis, des araignées, des poissons, de petites bestioles qui ont pris des allures de monstres gigantesques, par comparaison. Parce qu'à s'en tenir au récit on pourrait hésiter, se demander si l'on est sur une planète étrangère, si on a affaire à des cosmonautes amnésiques, etc.
Reste tout de même un suspense. Un mystère. L'explication finale. Conforme aux convictions andrevoniennes, écologie et pessimisme solidement liés. Anti-prométhéenne au possible. Que l'on pourra trouver désespérément réactionnaire, fixant comme idéal à la civilisation humaine le niveau atteint quelque part entre antiquité et haut moyen-âge, ou considérer au contraire comme relevant d'un optimisme mesuré — puisque la vie est là, et la vie sauvage bien plus que la vie humaine. L'explication finale qui, du fait de la couverture, reste la seule chose vraiment cachée dans ce monde pour le lecteur. Ce qui est bien dommage, encore une fois, tant le mécanisme de la découverte avait été minutieusement agencé.
D'une certaine façon, il faudrait faire de la critique expérimentale. Arracher la couverture. Donner le roman à des lecteurs, les uns connaissant bien la SF mais n'ayant pas encore entendu parler de ce roman-là, les autres ignorant à peu près tout du genre qui nous intéresse. Voir qui “devine”, et quand. Expérience totalement futile. Mais à tout prendre pas plus inutile et infiniment moins coûteux que de faire peter des bombinettes dans le Pacifique.