Keep Watching the Skies! nº 16, janvier 1996
Gilles Dumay : Destination crépuscule 2
anthologie de Science-Fiction & de Fantastique ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
→ Détail bibliographique dans la base de données exliibris.
Destination crépuscule nous revient en tenant les promesses de son premier volume. C'est-à-dire que son deuxième est de meilleure qualité que son aîné, débarrassé des scories qui avaient pu me révulser — quoique la présentation par ordre alphabétique, maintenue, ait pour curieuse conséquence de donner une tonalité “horreur” au début d'un volume qui fait au total la part belle à la SF.
Donnons donc un aperçu des points forts du volume, en commençant par les fantastiqueurs cette fois-ci minoritaires. Leur plus éminent représentant est Jean-Daniel Brèque. Vous trouverez ailleurs dans ce numéro un compte-rendu de son recueil chez le même éditeur ; il se montre ici au meilleur de sa forme. "Pierres vives" est un récit d'horreur enraciné dans le terroir parisien (tiens, Jean-Daniel s'acclimate) — plus précisément, ce sont les catacombes qui servent de cadre aux moments forts de l'action. Impressionnant.
Jean-Claude Dunyach, avec "le Harponneur du phare", a produit un texte aux résonnances brussoliennes et fantastiques, hors genres. Sauf à considérer que, comme il reste de moins en moins de gens à vivre sur un phare en notre monde… Et pourtant, foule de détails du texte sont tirés d'incidents réels, ce qui donne à la nouvelle une belle texture à défaut d'une intrigue bien consistante.
L'exercice consistant à classer des textes selon leur genre — surtout dans la forme courte, qui permet bien des ellipses, laisse tant à l'imaginaire du lecteur — est périlleux, voire occasionnellement impossible. Rien de surprenant à ce qu'on trouve ici des textes aux frontières de la SF. Celui de Guillaume Thiberge, "Fièvre", adopte un décor allégorique pour mêler le motif actuel de l'épidémie et celui du retour à la terre — pardon, du refus de l'exode rural, d'une répulsion pour la ville qui est nourrie par l'attirance ressentie par les autres. L'écriture est magnifique : je découvre un auteur que je n'avais connu jusqu'à présent qu'au travers de textes courts facétieux, et de sa personnalité portée aux extravagances.
Signalons au passage que le recueil intègre une poignée de nouvelles humoristiques ou parodiques, qui m'ont peu convaincu. "Pour l'amour de Lisa", de Bruno Dehaye, est peut-être un peu au-dessus du lot, mais je trouve la chute encore trop téléphonée.
"Mémoire de pierre", de Patrick Raveau, est aussi un texte-frontière. C'est formellement de la SF, mais laisse une impression de fantastique, sans doute parce qu'il mélange allègrement toutes ses références scientifiques (des plus modernes avec la biologie, — cellulaire plus que moléculaire cependant — aux plus délirantes avec ses constantes allusions à un “espace-temps différent”). Cet éclectisme absurde finit par faire ressembler le texte à un roman de Bob Morane (sauf la fin). Raté, mais intéressant.
On ne sera pas surpris que Serge Lehman signe un space opera, "l'Hypothèse de Russo". Quand je dis space opera, il faut comprendre que ça commence en plein mystère cosmique, comme du Van Vogt, ou plutôt comme du à la manière de Van Vogt… comme du Iain M. Banks, quoi. Mais c'est aussi une intrigue politico-policière, mal servie par des monologues trop longs, et pourtant très prenante, et la meilleure nouvelle du recueil avec celle de Brèque.
Ce qui est plus surprenant, c'est de voir Jean-Jacques Nguyen signer un space opera saupoudré de hard SF, "la Légende de la fin du temps". C'est aussi — et c'est plus normal chez Nguyen — saturé de sentimentalisme, comme peut l'être Dunyach. Et malgré les invraisemblances le texte est parsemé, il fonctionne plutôt bien !
Enfin, "les Germes", de Marc Lemosquet, montre que la SFF style 77-81 n'est pas morte. C'est violemment anticlérical, Bilal en ferait une BD du tonnerre ! Certes, ce genre de choses a été mieux fait il y a quinze ans, mais l'évolution entre ses contributions des numéros 1 et 2 de Destination crépuscule permet de nourrir tous les espoirs pour l'avenir littéraire de Lemosquet.