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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 16 the Year's best science fiction 11

Keep Watching the Skies! nº 16, janvier 1996

Gardner Dozois : the Year's best science fiction 11: 1993

anthologie de Science-Fiction et de Fantasy inédite en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Mammouthesques, d'une tenue impeccable, et compilées par le rédacteur en chef du magazine qui est, pour le meilleur et pour le pire, le plus influent du genre — Asimov's science fiction — les sélections annuelles de Dozois sont un bon moyen de se tenir au courant de la vie du genre, et indispensables si vous n'êtes pas abonnés à suffisamment de revues de SF.

La dissolution de la SF que l'on peut constater en ce moment, au profit de textes à l'appartenance plus floue (voir dans ce numéro la chronique du recueil de Connie Willis, et a contrario celle du Charles Sheffield) se manifeste bien entendu dans ce recueil. Elle prend des formes subtiles — souvent les textes respectent les formes de la SF, en adoptant un cadre futur, mais s'éloignent de la tradition du genre dans leur point de vue, dans ce qui constitue le centre d'attention du récit.

Et que dire des uchronies, dont la popularité ne cesse de croître aux USA ? Seraient-elles de la part du public de la SF une façon détournée de satisfaire un besoin de fiction historique sans avoir l'impression de délaisser son genre favori ?

"A Visit to the Farside", de Don Webb, utilise lui l'uchronie pour remettre plus de SF, plus d'espace dans notre présent — ce texte plairait à CyberDreams ! Mais "Mwalimu in the squared circle", de Resnick, n'est qu'un moyen de mettre en scène un match de boxe entre Julius Nyerere et Idi Amin Dada. Quel rapport avec la SF ? On peut se poser la question pour pas mal d'œuvres de Resnick, au demeurant [1].

Quant à "Wall, Stone, Craft" de Walter Jon Williams, ce doit être la n-ième uchronie prenant Mary Shelley et ses amis pour personnages. Fort bon rendu de l'arrière-plan historique, certes, mais…

Autre tendance en plein développement : la SF rurale. Visitez le Sud endormi sous ses magnolias, l'Ouest couvert de la poussière des cowboys… Ça peut être très rigolo, comme quand les rednecks découvrent les joies du sexe avec les ET (Pat Cadigan, "Love Toys of the Gods"), ou quand on parcourt le manuel d'instructions pour les enlèvements d'humains destiné aux conducteurs de soucoupes volantes (recopié par Mark Rich). Après tout, c'est dans les USA profonds qu'on lit les articles soucoupistes du National enquirer en y croyant dur comme fer…

L'ET de Rebecca Ore ("Alien Bootlegger") n'est là que pour exacerber les tensions raciales — mais il joue cette fois-ci le rôle du Blanc au-dessus des lois. Comme toujours, Ore est à l'aise dans le cadre sous-développé de la Virginie Occidentale.

Enfin, nous avons l'habitude des fantaisies de Neal Barrett, qui nous emmène cette fois-ci au fin fond de la pauvreté en Louisiane ("Cush"). Pauvreté aussi, mais où est la SF dans "A Child's Christmas in Florida" de W. B. Spencer ? Uniquement dans l'asocialité de la famille-protagoniste. C'est ténu, pour ne pas dire plus, comme est ténue l'intervention du fantastique dans "The night we buried Road Dog" de Jack Cady, qui est surtout une espèce de road movie.

Toutefois les auteurs anglo-saxons ne limitent pas leur tourisme aux USA — et on notera que ceux qui ne sont pas Américains ont moins peur de voyager. Aldiss, par exemple, revient aux pays de l'Est avec "Friendship bridge" : l'univers de "FOAM", en moins percutant. Egan crée, dans "Chaff", un curieux repaire de trafiquants de drogue et de biologie, El Nido — mais l'intrigue m'a déçu cette fois-ci (cf. la Barrière Santaroga, de Frank Herbert). Et Sheffield va en Nouvelle-Zélande pour "Georgia on My Mind", qui est une espèce de Nom de la rose pour hackers, à ne rater sous aucun prétexte [2].

Chez les Américains, Willis va en Egypte — "Death on the Nile" est pétri d'humour noir, hélas pas très percutant. Bruce Sterling, par contre, m'a bien fait rire (et glisse quelques observations sur le colonialisme) dans son histoire d'une équipe de cinéma indienne venue tourner dans un pays pas cher — la Grande-Bretagne. Enfin, le meilleur texte à mon sens du volume, "Whispers", est situé en Chine et signé par Maureen F. McHugh et David B. Kisor. Ils nous offrent à la fois un arrière-plan chinois tellement bien rendu qu'on se croirait dans un film de Zhang Yimou, et une idée de SF qui m'a autant frappé que celle de "The Screwfly Solution" (de Tiptree).

Par comparaison, bien peu d'auteurs voyagent désormais dans le système solaire. Deux seulement cette année — Stephen Baxter et G. David Nordley. Si l'idée de Baxter d'un humain modifié pour vivre dans le soleil est extraordinaire, le drame de "Lieserl" l'est moins. Nordley, par contre, fait le récit passionnant d'une traversée d'un satellite d'Uranus ("Into the Miranda Rift"), qui doit beaucoup au Voyage au centre de la Terre de Verne. Comme dans sa nouvelle de CyberDreams 3, Nordley célèbre la technologie par le biais de ses incarnations passées. Mais il sait aussi placer son intrigue sentimentale dans un milieu que l'on ne peut imaginer que par l'intermédiaire des sciences physiques. Captivant.

Les auteurs qui demeurent, même s'ils donnent des textes de bonne qualité, ne forcent pas à mon sens leur talent. Passons sur Stephen Utley, Nancy Kress, Ian McLeod et Robert Reed (ce dernier m'ennuie toujours autant). Joe Haldeman plonge dans les mystères de l'âme humaine, ceux de la création artistique et de la psychose meurtrière, un peu comme Bear l'avait fait dans la Reine des anges. Ça pourrait être fascinant — ça finit trop vite. Et Dan Simmons étale comme toujours son indiscutable sens dramatique, mais l'arrière-plan du récit (des USA décadents, de la conspiration) est nettement plus convenu, et ne résisterait pas à une lecture plus attentive.

Ce qui, finalement, donne le ton de l'évolution de la SF : elle a rejoint la fiction ordinaire en ce qui concerne le portrait des personnages et le sens du récit, mais elle a perdu quelque chose de son attachement à cette description d'un arrière-plan imaginaire qui prenait autrefois le pas sur celle des émotions. Avez-vous remarqué la relative rareté de récits prenant pour sujet des transformations sociales dans ce recueil ?

Notes

[1] Cf. chronique de sa dernière trilogie, l'Infernale comédie.

[2] Cf. chronique du recueil Georgia on my mind and other places.