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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 21-22 Invasions divines

Keep Watching the Skies! nº 21-22, septembre 1996

Lawrence Sutin : Invasions divines : Philip K. Dick, une vie

(Divine invasions : a life of Philip K. Dick)

biographie ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

« It is a cardinal error of literary criticism to believe that the author's own views can be inferred from his writings », écrivait Philip K. Dick en 1969 [1]. Toute biographie littéraire doit naviguer entre les écueils symétriques que sont la réduction de l'œuvre à un reflet de la vie l'auteur, et l'investigation (fût-elle psychanalytique) de la vie de l'auteur au travers de ses œuvres. Le lien entre vie et création est toujours plus complexe — sinon, quelle serait la valeur de la création ?

Philip Dick lui-même a immensément compliqué la tâche de ses biographes en utilisant sa vie dans ses œuvres — plus qu'on s'y serait attendu — et en proclamant ses œuvres entreprises d'analyse de lui-même et du monde, surtout à partir des fameuses “visions” de février/ mars 1974. Sutin est prêt à suivre Dick dans ses élaborations mystiques. Il s'agit, plutôt que de poser les questions en termes de croyance (Sutin, comme Philip Dick lui-même au demeurant, n'oublie jamais de donner les arguments du scepticisme), d'examiner l'humanité et l'univers au travers des réflexions de Philip Dick, qui avait un point de vue pour le moins original.

Sutin, donc, fait un constant aller-retour entre la vie de Dick et son œuvre. Les deux s'éclairent mutuellement, et permettent de bien comprendre ce qui a séparé Dick de ses collègues et contemporains auteurs de SF : ses aspirations à écrire de la littérature générale, sa compassion humaine, sa relation en zig-zag avec la religion. Mais c'est l'imagination de Philip K. Dick qui lui a permis de tresser ses préoccupations humaines dans des scénarios qui recombinaient furieusement des artefacts et des scories de la SF, genre déconsidéré. Et à cette imagination, on ne trouvera pas de clé. Pourtant Sutin remplit la fonction du critique : donner envie de relire, ou de lire plus.

Sutin a aussi écrit un livre passionnant en lui-même, qui suit son sujet (et sa famille foisonnante, avec tous les remariages) de la naissance à la mort en passant par ses ennuis de santé et ses douteuses pratiques médicamenteuses. Dick, semble-t-il, n'a pu écrire, ou du moins écrire au sommet de sa forme (tant en quantité qu'en qualité) que lorsqu'il était marié, sûr de ne pas souffrir d'isolement affectif — ce qui lui permettait d'endurer les brèves périodes de nécessaire isolement créatif. Au contraire, Philip Dick célibataire s'est noyé dans le contact social (que ce soit celui du fandom de SF ou des milieux de la drogue) et n'a rien produit de bon, ou presque. Sutin dégage aussi la fascination qu'a exercée sur Philip, tout au long de sa vie, le sort de sa sœur jumelle, Jane, morte à l'âge de trois semaines.

Dick n'est pas un personnage facile à suivre. Il avait coutume de réinventer constamment sa propre vie, et ses versions de la vérité correspondent rarement aux perceptions de son entourage — d'où le titre a life…, une vie et non la vie, car il est bien difficile d'arriver à des certitudes dans de telles conditions. Sutin a néanmoins mené à un bien un tel travail d'entretiens avec les personnes concernées (anciens docteurs et anciennes épouses, écrivains, agents et éditeurs), un tel travail de dépouillement des documents laissés par Dick et de ceux rassemblés par la Philip K. Dick Society, que son livre est incontournable pour quiconque veut désormais entreprendre un travail critique sur Dick. D'autant plus que le livre est admirablement présenté, avec un index des personnes et des sujets, une liste des sources employées, et une liste ces œuvres de Dick accompagnées de descriptions critiques (Sutin ne se fait jamais thuriféraire) qui en font une référence précieuse. Bel ouvrage.

Notes

[1] Cité par Sutin, p. 290.