Keep Watching the Skies! nº 23, avril 1997
Guillaume Thiberge : l'Appel de l'espace
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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On a connu Guillaume Thiberge, ermite échevelé serrant dans sa main une liasse de manuscrits en forme de fiches bricolage plus que de nouvelles. On l'a connu publiant dans les anthologies Destination crépuscule des textes témoignant d'une grande maîtrise de l'écriture associée à une étrangeté d'objectifs. Il signe maintenant un roman qui se place dans la perspective de la S.-F. de l'âge d'or — comme un Simak revu par Fredric Brown — sans renoncer complètement au côté farfelu du Thiberge de toujours.
Gustave Ferrand est un paysan du Causse qui continuerait, heureux, à courir les routes sur sa mobylette s'il n'avait croisé le chemin de l'Autre, personnage inquiétant (et pas du pays, signe qui ne trompe pas, n'est-ce pas ?), brouilleur de causalité et branché sur la route du Carrefour des Étoiles. Qu'il en prenne la route, nous n'en doutons pas une seconde, qu'il le fasse en compagnie d'une poignée de jeunes délinquants en vacances vertes (et modérément édifiantes), c'est une modeste surprise, et ce qu'il en adviendra se passe d'analyse.
Thiberge ne craint pas la péripétie superflue, il la courtise. Et sait en faire la source principale du plaisir de son lecteur (de celui-ci, tout au moins). Ne jamais refuser une idée tirée par les cheveux, passer deux pages à la développer de façon jubilatoire, puis la jeter aux poubelles d'un détour de l'espace-temps, telle semble être sa tactique.
Le roman arrive-t-il quelque part au bout d'un chemin aussi tortueux ? Son intrigue superficielle se conclut, et ses méandres lui font parfois toucher du doigt une profondeur de sentiment que l'on n'aurait pas soupçonnée en parcourant les chapitres d'ouverture. Sur ce plan, le livre refuse la conclusion ; ses personnages grandissent au cours de leurs aventures, mais leur destinée reste ouverte.
Le livre refuse aussi de se situer entre pur jeu de références S.-F. et regard satirique sur la vie quotidienne. Les délinquants juvéniles et leur éducateur relève de cette deuxième perspective. On pourrait croire un moment que Gustave est un naturel du Causse — ses jurons — mais il prend vite les traits d'un archétype du paysan français — avec un accent “rural” issu du Bassin Parisien. Mais l'archétype est immédiatement bafoué : Gustave est un vieux lecteur de S.-F., et les références sont assez nombreuses pour que l'on puisse déconseiller le livre à ceux qui ne sont pas des aficionados du genre. Ce qui ne présente aucune gravité, la diffusion de la collection dans laquelle il paraît lui permettant, me semble-t-il, ce type de spécialisation.
Si l'absence d'objectif, de conclusion affirmée, a pu amoindrir mon enthousiasme en fin de course, le début du livre est une magnifique réussite — il montre un Thiberge domptant sa verve pour produire une œuvre éminemment accessible, et que je recommande à tous les amateurs de S.-F. et d'humour. L'éditeur mentionne le nom de Kevin H. Ramsey, et il est vrai que le côté référentiel du livre l'en rapproche (plus que de Sheckley, n'en déplaise au même éditeur), mais je pense que Thiberge, s'il est moins bien focalisé que Ramsey, le dépasse en richesse d'écriture et en foisonnement inventif.