Keep Watching the Skies! nº 23, avril 1997
Frederik Pohl : Dialogue avec l'extraterrestre
(the Voices of Heaven)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Voyons, voyons, si j'arrive à me rappeler de tout, et à peu près dans l'ordre. Défi ! Il y a Pava, une des quelques colonies extra-solaires de l'humanité, qui ne végète pas moins que les autres, en dépit d'un climat que l'on dit supportable et de la présence d'une race d'extra-terrestres intelligents. Rien qui ne paraisse bien convaincant au Congrès Terrien, acharné qu'il est à tailler dans les crédits.
On trouve, par contre, des établissements humains prospères sur Mars et sur la Lune, où fonctionne la seule usine d'antimatière du système solaire. Activité dangereuse mais indispensable au stockage d'énergie, et gagne-pain du narrateur, Barry DiHoa, divorcé qui nourrit des espoirs de remariage. Détail intéressant : DiHoa est un maniaco-dépressif qui ne doit qu'aux miracles de la biochimie de pouvoir mener une vie normale.
Il y a une foule d'Églises et de sectes, qui ont mis la main sur la vie politique. Et parmi elles, les pittoresques et inquiétants Millénaristes : la Terre n'aurait pas dû survivre plus d'un millénaire à la venue du Sauveur, corrigeons vite l'erreur. Aussi incongrus qu'ils puissent paraître, ils ont de l'influence : ils dominent la vie sociale sur Pava, et leurs relais sur Terre sont puissants (y compris le capitaine Garold Tscharka, qui pilote le vaisseau interstellaire qui ravitaille la planète).
Barry DiHoa n'a jamais compris pourquoi des cinglés avaient entrepris un programme de colonies interstellaires, et considère leurs habitants comme un ramassis de ratés qui n'ont trouvé que le départ comme issue. Vous vous en doutez : les circonstances vont l'emmener sur Pava, où il se liera d'amitié avec les extra-terrestres, et résoudra, après un assortiment de péripéties plus ou moins gratuites, les problèmes de la colonie et les siens propres, et sauvera l'humanité par surcroît.
Bref, Fred Pohl nous sert, avec l'art consommé d'un vieux maître, une ratatouille d'ingrédients ordinaires de la science fiction. Jusqu'aux insectes intelligents qui refusent la religion, parce qu'ils atteignent leur paradis sur Terre… enfin sur Pava, au bout de leur métamorphose. Voir Blish, voir Card. Pourquoi alors en parler dans KWS ? Privilège éditorial, sans doute, en souvenir du plaisir que j'ai pris à lire ce petit roman d'un grand auteur. Un plaisir pas aussi intense que celui qu'on peut éprouver à la lecture de la Grande porte, par exemple, mais un plaisir que je peux recommander aux gens qui se mettent à la S.-F. J'étais, momentanément, dans leur situation : trois mois de voyage, trois mois de privation m'avaient remis dans les bottes d'un novice, à nouveau réceptif à toutes les idées, à toutes les astuces, fussent-elles passablement rebattues.
Au-delà des clichés, que reste-t-il de ce livre ? Un protagoniste qui aurait pu être original, à cause de ce qu'on devrait aujourd'hui appeler sa folie. Dans le futur, ce ne sera qu'une gêne remédiable, comme le diabète de nos jours. Pohl est sur le point de rendre à cet élément une charge dramatique en faisant atterrir DiHoa sur Pava, huit cents habitants humains et ressources médicales bien limitées. Mais notre protagoniste narrateur ne commet finalement jamais rien de bien effrayant.
Le culte millénariste pourrait, lui aussi, retenir l'intérêt. On le croirait inspiré des Cathares, ou du moins de leurs pires côtés — si on croit, comme cet auteur qui s'est récemment instauré nouveau croisé anti-Albigeois — qu'une attitude de refus du monde matériel doit mener au refus de la vie, et que ce refus de la vie doit mener au meurtre.
Le point de vue des Cathares (et d'autres dualistes et gnostiques) était que, si le monde était mauvais, était un faux monde (parce que créé par un Dieu mauvais, et non parce qu'ayant duré plus de mille ans depuis le Christ), on devait s'en délivrer par les actes de l'esprit et par un ascétisme (végétarisme, non-violence, abstinence sexuelle) qui était réservé aux membres du clergé. L'endura, ou suicide par grève de la faim, n'a été qu'un phénomène tardif et marginal.
À côté des Cathares, hauts en couleur (et souvent peu cohérents), ou même des personnages christo-gnostiques de Philip Dick, les Millénaristes à la Pohl sont singulièrement dépourvus de profondeur métaphysique ou doctrinale. C'est que le propos du livre est ailleurs, et que Pohl se fait polémiste plutôt qu'explorateur. La dernière page du livre révèle un agnostique combatif, et l'organisation politique esquissée pp. 23-28 (on ne peut voter que si on est fidèle d'une Église reconnue) me semble refléter l'inquiétude de l'auteur devant la montée de l'influence des formes les plus intolérantes de la religion aux États-Unis. Aussi doit-on lire en filigrane dans ce roman (dont le titre américain, "les Voix du Paradis”, était beaucoup plus approprié) une dénonciation des Églises, de leurs mensonges et de leurs stratégies de pouvoir. Sujet passé de mode ? On voudrait le croire. Hélas, quand on considère les agissements bien contemporains des commandos anti-IVG, ou de l'Église de la Scientologie (qui a réussi à faire interdire la principale association américaine de recherche sur les sectes), on se prend à douter…
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 23.