Keep Watching the Skies! nº 24-25, juin 1997
Esther Rochon : Aboli
roman de Fantasy ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel
→ Chercher ce livre sur amazon.ca
Esther Rochon se lance à son tour dans une série, celle des Chroniques infernales, amorcée avec Lame, chez Québec/Amérique. Aboli est le second volume, tandis que le troisième, Ouverture, est sorti en avril 1997.
De lecture fort agréable, Aboli défie jusqu'à un certain point la critique. Le style est plus simplifié et épuré que dans les ouvrages d'Esther Rochon qui avaient précédé Lame, car l'écriture et le sujet sont moins sensuels ou colorés que dans Coquillage ou l'Espace du diamant. La richesse du roman est presque tout entière dans les allégories que nous propose l'auteure et qui reposent sur un échafaudage constitué d'un savant mariage des symboliques bouddhistes et chrétiennes.
Et si la discussion philosophique et éthique qui donne sa force au roman peut passer pour une dénonciation de nos propres sociétés, elle reste suffisamment générale pour également nous interpeller individuellement.
On pourrait croire qu'il faudrait avoir lu Lame avant d'aborder ce livre, mais Rochon réussit à bien exposer et intégrer le passé des personnages. Jusqu'à un certain point, Aboli est un roman qui m'a semblé plus achevé que Lame : par comparaison, Lame souffrait de longueurs et de répétitions qui, réincarnées dans Aboli sous la forme de brèves réminiscences, donnent une profondeur supplémentaire aux personnages. L'action est mieux menée que dans Lame, qui versait plutôt dans la fresque, et le personnage de Lame doit lutter pour un enjeu moins personnel que les enjeux du roman précédent, consacré avant tout à un cheminement individuel.
C'est de la Fantasy (ou de la Science-Fiction ?) dont la matière première est la vie quotidienne. Rochon crée donc un genre particulier, qui frise parfois le cucul mais qui parvient à rester d'aplomb. C'est l'assurance avec laquelle elle mélange et confond les genres qui a permis de parler dans son cas de réalisme magique. Je crois bien que c'était García Marquez qui, dans un article du New Yorker, était censé avoir expliqué qu'il avait longtemps cherché le ton approprié aux histoires qu'il lui démangeait d'écrire. Lorsqu'il avait adopté une narration qualifiée de “brick-faced”, c'est-à-dire de pince-sans-rire, grosso modo, il avait enfin pu écrire du réalisme magique.
Ainsi, dans ses Chroniques infernales, Rochon nous en impose par son sérieux et par la lucidité de sa réflexion. Les lecteurs à la recherche d'une lointaine descendante de Voltaire le moraliste, en plus fin peut-être, apprécieront. Les autres se laisseront peut-être envoûter par le portrait fantaisiste des enfers au jour le jour…