KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Lewis Shiner : Say goodbye

roman de littérature générale inédit en français, 1999

chronique par Pascal J. Thomas, 2001

par ailleurs :
 

Pas un brin de SF ou de Fantastique dans ce livre, mais ceux qui s'intéressent au devenir de Lewis Shiner, ex-cyberpunk, veulent peut-être savoir ce qu'il a écrit récemment — et ceux qui s'intéressent au rock voudront lire ce roman.

Laurie Moss pourrait être n'importe quel membre de l'armée de musiciens de rock qui travaillent désormais, tous talentueux, fort peu radicalement innovants, et presque tous obscurs en dépit de leurs qualités d'auteur. Un jour, elle quitte son Texas natal pour s'installer à Los Angeles, prendre un job à temps partiel et travailler sa musique. Chanteuse folk par force, elle prend la tête d'un groupe électrique dès qu'elle peut, et passe par les étapes obligées du parcours du musicien : clubs, bande et CD réalisés en indépendant, contrat avec une compagnie discographique qui ne s'occupe pas comme il faut du groupe…

Mais la présence qui va dominer et empoisonner sa brève carrière est celle de Skip Shaw, guitariste légendaire qui accepte de jouer avec son groupe — avec pour résultat l'attention des journalistes de rock, mais dirigée à tort sur celui qui n'est plus, en l'occurrence, qu'un side-man. Et un side-man au comportement irresponsable, tant dans sa relation sentimentale avec Laurie — il fallait bien que… — que dans son approche des, hum, substances illégales.

Le livre se lit sans arrêter, parce qu'il restitue d'excellente façon l'ambiance du rock (tendance classiciste) dans les années 90, et aussi grâce à son narrateur. Jamais mis en avant, le journaliste qui est censé écrire ce profil biographique de Laurie Moss est lui aussi un personnage de roman, un personnage en creux qui incarne toute l'avidité du fan, toute la tendance de celui-ci à vouloir recueillir le moindre fragment de la gloire qui est juste au-dessus de lui, là sur scène. Même s'il sait que cette gloire est évanescente, que le sort personnel des artistes est bien plus pénible que le sien. Même s'il sait que les phantasmes amoureux qu'il ne s'avoue qu'à demi — avec pour objet Laurie elle-même — ne pourront jamais se réaliser.

Lewis Shiner a aussi écrit Fugues, roman génial sur le rock où le fantastique, et une sorte de voyage dans le temps, se mettent au service de la nostalgie — plus précisément, du désir de prolongement d'une époque passée par la redécouverte de la musique qui n'a jamais été enregistrée (dans la réalité, nous devons nous contenter de débourser notre argent pour de la musique d'époque qui n'avait jamais, ou fort peu, été publiée en son temps). Ici, Laurie Moss est un personnage contemporain, et pourtant la musique qu'elle joue est gauchie par le poids du passé. Un poids incarné par le personnage de Skip Shaw, has been mais incontournable dans l'univers où elle veut s'inscrire. Pas très joyeux pour le rock en tant que forme artistique — cela fait déjà bien longtemps qu'il a cessé de représenter le moindre mouvement social —, même si le livre se conclut sur une note optimiste en ce qui concerne le sort individuel de Laurie. On n'a pas besoin d'être historiquement significatif pour vivre une vie artistiquement heureuse, semble plaider Shiner.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 38, janvier 2001

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