Jean-Claude Dunyach : la Station de l'Agnelle (Nouvelles – 1)
nouvelles fantastiques horrifiques et de Science-Fiction, 2000
- par ailleurs :
Le projet éditorial est original : les nouvelles de Jean-Claude Dunyach, en intégrale, en exclusivité.(1) Si l'intégrale des nouvelles d'un auteur vivant ne peut par définition pas avoir de fin, elle pourrait avoir un début, en procédant par ordre chronologique. Ce n'est pas le choix qui a été opéré ici. Chaque volume réalise au contraire un savant dosage entre ancien et nouveau, et surtout entre les divers genres (SF, Fantastique souvent horrifique, humour) dans lesquels œuvre Dunyach. Et tous présentent au moins une nouvelle inédite, sans compter une poignée de textes parus dans des supports difficiles à localiser (Agenda SF, festival du livre de Montmorillon, le Pays malouin, le Soir…)
Ayant accordé à l'Atalante l'exclusivité de ses recueils de nouvelles, Dunyach pense leur livrer des volumes de la même taille que ceux-ci tous les dix-huit mois environ. Le troisième volet de l'entreprise, Déchiffrer la trame, vient de paraître (il en sera question dans un autre numéro de KWS, sans aucun doute) ; une réédition d'Autoportrait est également au programme (par contre, les nouvelles liées par un récit-cadre qui forment Étoiles mortes, récemment réédité chez J'ai lu, resteront hors du projet de l'Atalante).
La Station de l'Agnelle s'affiche SF. Par la couverture, par le titre, par le texte qui correspond à ce titre, qui ouvre le recueil, et par "le Jugement des oiseaux", qui le clôt. "Les Parallèles" ou "Histoire d'amour avec chute" relèvent aussi, incontestablement, du genre. Pourtant, le fil conducteur du livre serait plutôt la cruauté (des Hommes ou de la nature), et ses textes les plus marquants — question de goût, certes — ceux qui relèvent du Fantastique. De l'Horreur, si on veut.
"Ce que savent les morts" marque ma mémoire. Il distille le venin du désespoir à des doses qui n'ont plus rien d'homéopathique, et alterne les images superbes et répugnantes. Le narrateur est bloqué sur une île grecque. Son désespoir peut paraître au prime abord ordinaire (il noie dans l'alcool la perte d'un enfant mort-né et d'une épouse suicidée). Mais surtout, il attend les créatures sorties de la mer, qu'il ne trouverait nulle part ailleurs. La beauté (de l'île, des femmes…) est un piège, et l'abomination une délivrance.
Le volet fantastique du recueil est complété par deux nouvelles plus unidimensionnelles. Mais leurs mécaniques sont bien huilées. "Le Gardien de l'ange" décrit une sorte d'enfer, si l'immortalité des réincarnations successives peut en être un, qui pourrait bien être un paradis, finalement. Pirouettes, gentlemen, révélations autour d'une liqueur vespérale. Bien calé. "L'Heure des vers" est gore à souhait, avec une imagerie de cimetières, de fossoyeurs et de pelles acérées tout droit sortie des EC Comics de la grande période. Mais il prend aux tripes, comme un mélodrame bien ficelé, à cause du désespoir du protagoniste orphelin, mécaniquement poussé au crime par l'absence d'amour maternel.
Même thème de la déshumanisation des orphelins dans "le Jugement des oiseaux", mais ici c'est intentionnel et organisé. Le crime devient mode de vie pervers, et entreprise esthétique — du coup encore plus horrible. Dans un futur où les criminels voient leur esprit effacé pour recommencer une vie utile à la société, un maître assassin entraîne un groupe de tueurs d'élite capables de préserver leur identité au tréfonds de leurs neurones. Mais qu'est-ce qui garantit leur loyauté ? Beauté et cruauté, à nouveau un couple indissociable. Une nouvelle à la construction serrée, qu'on a envie de relire dès qu'on l'achève.
Les autres textes du recueil ne sont pas, naturellement, au même niveau. "Histoire d'amour avec chute" prendrait place parmi les pochades de Dunyach, si ce n'était pour son niveau d'émotion et d'élaboration un peu supérieur. "Le Jeu des dédicaces" est un texte de circonstance, suffisamment bien tourné pour survivre à son biotope d'origine (le festival du livre de Montmorillon). "La Station de l'Agnelle" est à mon sens trop statique, décrivant comme il le fait un épisode glorieux et tragique du lointain passé sans porter de charge dramatique dans le temps de la narration — et trop dominé par son image centrale.
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