Jean-Claude Dunyach : Déchiffrer la trame (Nouvelles – 3)
nouvelles de Science-Fiction et de Fantasy, 2001
- par ailleurs :
Troisième volet de l'édition systématique des nouvelles de Jean-Claude Dunyach.(1) Celui-ci fait la part belle aux inédits (trois textes sur neuf), auxquels il conviendrait presque d'adjoindre la rareté qu'est "M.D.I.K." (paru dans Garichankar, le fanzine de Roland C. Wagner, en 1985). Du coup — peut-être —, mes impressions du recueil sont colorées par ses textes plus légers, ceux où l'auteur joue avec des idées, voire se livre carrément à des plaisanteries prolongées.
Le plus drôle des inédits, "Nourriture pour dragons", sans atteindre aux sommets de dérision de "Mémo pour action" (dans Dix jours sans voir la mer), est une autre parodie décapante de la vie d'entreprise, vêtue aux couleurs de la Fantasy — mais des dinosaures, censément SF, du Mémo, aux dragons de la Fantasy, il n'y a qu'un pas. Au niveau de l'imagerie, on reste dans les animaux gigantesques, motif récurrent chez Dunyach, et ombre d'une connexion — bien ténue — avec ce point isolé de la SF française que demeure Serge Brussolo. "Le Harponneur du phare", en tout cas, a ce côté brussolien dans sa description d'un univers où vivant et inanimé sont entremêlés, ou plutôt permutés, et dans l'usage de l'imparfait. S'il me déçoit, c'est dans l'inexorable de son déroulement. Là encore, une seule image domine la création.
Refaisons un détour par l'humour. "M.D.I.K." est anticlérical et sheckleyien, mais on ne peut rien dire de mieux. Vieilli, et utile aux complétistes. "La Dynamique de la révolution", autre inédit, est une uchronie fondée sur les citations et le name dropping, et pareillement mineur — même si on sent qu'au moins dix ans de métier d'écrivain ont passé là-dessus par rapport à "M.D.I.K.". Pas de drôlerie, mais encore du pastiche — on s'en doute —, des sigles contournés et de la culture imaginaire dans "le Système B.O.R.G.E.S", texte dont on ne sait pas trop s'il va basculer dans la révélation transcendante ou dans la chute gratuite. À mon sens, ce serait plutôt le deuxième cas, mais l'ambiance de la nouvelle reste prenante. Il faut aimer les bibliothèques infinies, naturellement, mais quel fan de SF ne les aime pas ? Nous faisons le bonheur d'Ikea et des agents immobiliers…
Passons aux choses sérieuses : "les Pleureurs de monde" relève du cycle des Nageurs de sable, et du Dunyach première période. En l'occurrence, ce texte ne m'a pas beaucoup marqué. On peut à nouveau se redemander si le parti pris anti-chronologique de cette édition des nouvelles de Dunyach est fondé. Non, si l'on désire une unité de ton. Oui, si on veut éviter de regrouper des textes mineurs — qui peuvent être agréables, lus isolément.
Le meilleur inédit du livre — qui justifie à lui seul l'achat du recueil — n'a pas un brin de sourire. "Regarde-moi quand je dors" est une Fantasy d'une noirceur étonnante, dont le protagoniste est un enfant torturé par ses parents par appât du gain. Les images (fées-insectes se logeant dans le gosier, souffleur de verre) sont effrayantes et uniques. La froideur du narrateur, victime détachée, fait peut-être aussi peur. J'ai parfois tendance à penser que l'évolution actuelle du milieu éditorial SF français fait la part belle à la Fantasy. Ce ne doit pas être vrai en ce qui concerne les nouvelles, car sinon comment celle-ci aurait-elle pu rester inédite ?
Restent les deux nouvelles qui ouvrent et closent le recueil, toutes deux publiées dans Galaxies (revue fétiche pour laquelle Dunyach a fait et fait encore beaucoup), toutes deux SF sans réserve, toutes deux bâties sur la transcendance finale qu'est le contact, plus ou moins achevé, plus ou moins certain, avec des extraterrestres. Et toutes deux, finalement, tirant leur énergie des complications de la communication sous toutes ses formes. Dans "la Stratégie du requin", ledit requin vit dans des eaux virtuelles et c'est peut-être son seul défaut : il est difficile pour moi de m'attacher longtemps aux images nécessairement très vagues qui évoquent les combats informatiques — mais Dunyach a l'avantage sur beaucoup de savoir ici de quoi il parle. Par ailleurs, la nouvelle rebondit de surprise en surprise, avec l'âpreté au combat qui faisait du "Jugement des oiseaux" (dans la Station de l'Agnelle) un tel chef-d'œuvre. C'est "Déchiffrer la trame", le texte-titre, qui l'emporte néanmoins. À lire entre les lignes, bien sûr. Un jeu de récits emboîtés, exhibition de la virtuosité d'écriture de Dunyach, et sur lequel, finalement, il n'y a pas un mot à ajouter.
Commentaires
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.