Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Juan Miguel Aguilera : la Folie de Dieu
(la Locura de Dios)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Philippe Heurtel
→ Chercher ce livre sur amazon.fr
Au début du XIVe siècle, le savant Ramon Llull est convié à Constantinople par Roger de Flor, un aventurier et guerrier catalan. Ce dernier lui propose d'accompagner une expédition militaire vers la lointaine Asie, à la recherche de la “Cité du Prêtre Jean” : d'après la légende, des hommes originaires de ces contrées mystérieuses auraient un jour repoussé une invasion turque et sauvé une cité chrétienne à l'aide d'une arme inconnue, le “feu grégeois”. Autant de perspectives d'enrichissement pour De Flor, mais ce dernier qui a besoin d'un savant tel que Llull pour découvrir l'emplacement de la Cité.
Llull accepte, et l'expédition se met en route. Peu après, Roger De Flor doit faire marche arrière, mais il laisse Llull et un de ses lieutenants poursuivre la quête à la tête de trois cents Catalans. Les voyageurs découvrent bientôt, parmi les Tartares, d'étranges créatures semblables à des démons, les “Gogs” (en référence aux démons de Gog et Magog qui, dans l'imaginaire médiéval, étaient censés peupler les lointaines terres d'Asie). Puis ils découvrent enfin la Cité du Prêtre Jean, Apeiron, une utopie scientifiquement très avancée en guerre contre les Gogs.
Les deux cents premières pages de la Folie de Dieu ont provoqué en moi un certain intérêt, de par l'époque (médiévale) et le lieu de l'action (l'Asie Centrale et les mythes dont l'Europe peuplait cette région), peu courant dans un roman de S.-F./ Fantastique. De plus, le mystère que l'auteur laisse planer autour de la Cité du Prêtre Jean et de la nature des Gogs donnait envie d'en savoir plus.
Las… Le “monde perdu” qui nous est décrit possède une technologie, une organisation, qui ne sont en rien dépaysants : utilisation de la vapeur et du pétrole, éclairage public, trains, dirigeables, canons, chirurgie avancée, scolarité pour tous, égalité hommes/femmes… Apeiron est décrit par le regard forcément candide d'un homme du Moyen Âge, et par les mots et les concepts “limités” de son époque, mais on n'en reconnaît pas moins un monde extrêmement proche du nôtre. En ce qui me concerne, je n'en vois pas l'intérêt.
J'ai malgré tout poursuivi ma lecture, en accéléré, pour connaître au moins la nature des Gogs et de l'ennemi mystérieux que doit affronter Apeiron, me doutant un peu de la réponse. Je ne dévoilerai pas le secret, mais ce dernier n'est autre qu'un bon gros cliché science-fictif. À mes yeux, le simple décalage qui consiste à transposer un cliché et un monde familier dans le contexte médiéval — de la poudre aux yeux qui ne parvient pas à masquer l'absence d'idées — ne justifie pas ce roman de cinq cents pagesqui m'a ennuyé.
Le ton, la narration, sont volontairement surannés, narrateur du XIXe siècle oblige, et évoquent également des romans du XIXe siècle. Les amateurs apprécieront. Toutefois, plusieurs anachronismes de langage m'ont énervé : le narrateur mentionne la maladie du cancer, ou bien utilise des expressions modernes comme "Tirons-nous d'ici", "J'en ai marre", "mon vieux", qui ne conviennent pas dans le contexte. Ceux-ci sont néanmoins imputables à la traduction, pas à l'auteur.
Cela n'empêche pas la Folie de Dieu d'être un roman manquant désespérément d'idées.
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 43.