Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Christian Grenier : Virus L.I.V. 3 ou la Mort des livres
roman de Science-Fiction pour la jeunesse ~ chroniqué par PiWay
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Le futur a vu la victoire du livre sur le multimédia et l'image : la République des Lettres a été instaurée, tyrannique et dirigée par un cercle d'écrivains, les Voyelles. Cet état a élevé la lecture des livres au rang de pratique religieuse et les vidéastes sont réprouvés. Ainsi, posséder un ordinateur ou un téléviseur est particulièrement mal vu et les “Zappeurs” sont reclus dans leurs sordides banlieues.
Allis L. C. Wonder est une jeune autrice qui, malgré cela, est très tolérante vis-à-vis des Zappeurs. Sourde-muette, elle se sert même du web pour communiquer avec une amie mystérieuse : Lundaye. Le jour où elle est admise au sein des Voyelles, plébiscitée pour son premier roman, elle découvre qu'un mystérieux virus, le L.I.V. 3, provoque la disparition des lettres d'un livre quand on le lit. Ce virus étrange, dont on ne comprend pas le fonctionnement, se propage de lecteur en lecteur, menaçant ainsi de disparition tous les livres de la planète. Par ailleurs, ce virus a la formidable propriété de plonger le lecteur au cœur même de l'histoire du livre, dans ce qui semble être l'univers virtuel du livre. Investie par les Voyelles, Allis mène l'enquête pour retrouver le créateur du virus et le convaincre de sauver les livres…
Inspiré de Fahrenheit 451, ce roman n'est pas sans qualité, ce qui explique sa réédition. L'univers, d'abord, est très original pour ce genre de roman puisqu'il met en avant beaucoup d'innovations informatiques souvent obscures pour les jeuneslecteurs : c'est un univers où l'on chat et où le web est omniprésent. Et puis le propos est aussi original : il s'agit ici de montrer la lutte entre les adeptes du livre et ceux de l'image, lutte qui est au centre de notre société et qui oppose souvent les jeunes aux enseignants. La question « comment les réconcilier ? » est ainsi au cœur de l'intrigue. Enfin, les idées du dénouement apportent quelques surprises et portent un message fort en ce qui concerne la réconciliation du livre et de l'image — qui est aussi la réconciliation de la littérature et des techno-sciences, à l'origine de la S.-F.
Cependant, Virus L.I.V. 3 souffre de cette trop grande ambition. Premièrement, le début du roman me paraît raté : l'univers, bien qu'intéressant, est finalement caricatural et invraisemblable. Il aurait fallu beaucoup plus d'espace pour le rendre crédible, chose impossible dans le peu de pages accordées à un livre pour la jeunesse. Deuxièmement, l'histoire en elle-même n'est pas non plus vraisemblable : qui aurait l'idée d'envoyer une jeune ingénue des beaux quartiers, sourde-muette par surcroît, pour pénétrer un réseau de terroristes informatiques cachés au cœur d'une banlieue dangereuse ? Heureusement, une fois que l'on a oublié l'univers et la cocasserie de l'intrigue — qui peut passer pour une fable allégorique sans en avoir vraiment l'apparence —, l'histoire s'avère prenante et, malgré quelques rebondissements dont on se doute depuis le début, la suite nous réserve quelques surprises et l'action est très bien menée, très vivante.
Pour conclure cette analyse de structure, je dirais donc que ce livre recèle de grandes qualités mais que ces qualités, et sans doute le trop plein d'ambition, font que l'accroche du roman est difficile.
Enfin, il me faut poser la question essentiellequi légitimerait vraiment la réédition de ce roman : peut-il être compris et apprécié par de jeunes lecteurs ? Malheureusement, il me semble qu'avec tous les défauts du roman, les plus jeunes seront perdus — le livre est conseillé à partir de dix ans ! —, à moins qu'ils n'aient une solide culture internet. Par ailleurs, il me semble que la problématique et le message du livre n'intéresseront pas les jeunes : ce roman, avec aussi ses multiples clins d'œil à la littérature pour la jeunesse — lisibles uniquement par des adultes connaisseurs : les profs en fait — me semble donc une tentative d'accrocher les adultes avec une histoire qui ressemble fort à la Bibliothécaire de Gudule, sans parvenir à atteindre la qualité d'une telle intrigue.
Il me semble donc que le lectorat visé par ce roman est assez étroit. Certes, l'école éduque de plus en plus les jeunes aux nouvelles technologies — Christian Grenier, d'ailleurs, est sans doute un auteur-phare de cette éducation par son implication d'écrivain — mais l'écart entre les enfants dans et hors la culture Internet est encore large, surtout dans certains milieux.
Si, donc, on ne prend pas en compte les défauts de structure du roman, je dirais que Virus L.I.V. 3 conviendra à des lecteurs plus âgés (à partir de treize-quatorze ans), “habitant” déjà une certaine culture, plus matures pour apprécier la problématique du livre. Cependant, on peut se demander si, à cet âge-là, ils ne devraient pas plutôt lire un vrai livre de S.-F. étiqueté “pour adulte”. Quoi qu'il en soit, Virus L.I.V. 3 n'aidera pas vraiment à entrer dans la cyber-culture mais plutôt à l'approfondir par une réflexion pertinente. Évidemment, Virus L.I.V. 3 est aussi à conseiller aux adultes, fans de S.-F. ou intéressés par la problématique.
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 29-30.
