Keep Watching the Skies! nº 44, août 2002
Colin Greenland : le Pays de cocagne
(Take back plenty)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard
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La publication de ce roman pose une question : la S.-F. vieillit-elle bien ? En effet, un roman doublement primé il y a plus de dix ans (Prix Arthur C. Clarke 1991 du meilleur roman de S.-F., Prix de la British Science Fiction Association 1990 du premier roman) est-il encore lisible ? S'il est bien écrit et intéressant, il n'y a pas de raison que le lecteur d'aujourd'hui le boude. “Bien écrit”, je veux bien admettre que le critère soit intemporel, bien que les sensibilités et la langue varient avec le temps. Mais “intéressant” ? Là, j'avoue que je ne suis pas sûr que ce qui m'intéressait il y a dix ans m'intéresse aujourd'hui. Quoiqu'avec le retour cyclique de certaines modes ou célébrations… Alors comment juger ? Peut-être que le sujet ? Les rapports entre une IA de gabarre (une péniche ?) et son capitaine (une femme) toujours plus ou moins sur la corde raide quant à l'argent. Les rapports entre les mêmes et de soi-disant artistes encombrés d'extraterrestres. Les rapports entre les mêmes et les autres extraterrestres… S'il n'y avait pas quelques séquences amoureuses, on pourrait voir là un juvenile un peu tarabiscoté pour lecteur avancé. Il y a des extraterrestres à l'air de fouine qui cherchent tout le temps la bagarre, et des vers de Capella dans la tête des terriens soumis. Et bien sûr, la cavalerie arrive au bon moment pour sauver les deux héroïnes (l'IA et le Capitaine). Bref, tous les poncifs de la S.-F. des années 50, plus quelques nouveautés des années 80, le tout sur un rythme des années 90, et pas grand-chose de nouveau sous le soleil.
C'est sans doute pour cela que, n'étant pas dépaysé et retrouvant ses marques dans une S.-F. conventionnelle, on accepte le produit. Peut-être qu'un lecteur plus attentif qu'un autre décèlera sous le classicisme une part de parodie, une volonté sournoise de dynamiter quelques vieilles images lorsqu'il réalisera qu'il y a trois niveaux de récit, chacun correspondant aux rapports définis plus haut, le dernier étant celui de l'IA ; ou qu'il comprendra que Vénus (la planète de l'amour) est invivable et le tombeau du plus macho des artistes embarqués ; ou enfin qu'il percevra les références littéraires qui foisonnent (Dick, Silverberg, Lewis Carroll, Asimov, Simak, etc.).
Alors, la S.-F. est-elle comme le bon vin ? Lisez le Pays de cocagne, vous verrez bien.