Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003
Jacques Barbéri : le Crépuscule des chimères
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard
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Si l'on excepte les quelques productions avec ou sans pseudo réalisées avec Yves Ramonet et un Carcinoma tango en 1993, l'œuvre S.-F. (?!) de Jacques Barbéri s'est arrêtée en 1992, sous prétexte de télévision et peut-être aussi de musique, pour renaître aujourd'hui sous la pression de quelques-unes dont sans doute Richard Comballot et Jacques Chambon — qu'ils soient remerciés. Mais — et que l'on me permette d'être ici un peu iconoclaste et vieille barbe — si ce nouveau roman paraît en 2002 et traite manifestement des aventures actuelles de la biologie entre recherche sur l'ADN, dissection de cadavres et manipulations génétiques on peut lui denier une partie de son originalité, du moins au regard des Barbéri précédents — à moins qu'il ne s'agisse d'une sorte de bilan visant à couper le cordon ombilical avec l'ancien Jacques avant d'en proposer un nouveau. Pour ce qui est de Jacques Barbéri dans le paysage science-fictif français, il est indéniable qu'il occupe une place certaine au même titre que les deux autres survivants — quant à l'écriture — du groupe Limite (Francis Berthelot et Antoine Volodine).
Après un si long préambule revenons à nos Chimères et notons d'emblée deux choses. D'abord l'absence parmi les remerciés en fin de volume d'un auteur en exergue du premier roman et encore grand inspirateur : Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont — mais peut-être est-ce parce qu'il est cité dans le corps du texte — ; ensuite des titres de chapitres orthographiés dans le style Massive Destruktiv Mékanik Komando comme le recueil Kosmokrim, ou référence au groupe Magma de Christian Vander qui s'inventa un langage et “forma” un François Cahen ou un Jean-Luc Ponty.
En quatrième de couverture d'une Soirée à la plage, il est question d'un homme ressemblant à une araignée et d'un poulpe-pilote ; mais pour Narcose, il est question de se retrouver dans une enveloppe charnelle inattendue qui pourrait être accommodée à la sauce Lewis Carroll ou la sauce Tex Avery. On retrouve tout cela dans le Crépuscule des chimères, mais à la sauce delirium tremens et Heroic Fantasy. Anjel et Daren sont les dieux d'une mythologie particulière qui s'affrontent comme Abel et Caïn sous l'œil indifférent de leur vrai père. Les parents terrestres et adoptifs d'Anjel et de Daren ayant fait détruire le vivarium d'araignées de ce dernier, il les a tués et Anjel, témoin, a sombré dans l'alcoolisme et les visions étranges que même une psypute, aidée d'un poulpe symbiote, ne peut “guérir”. Anjel va se promener au gré des portes dans des univers de Lewis Carroll revisités par Tex Avery inspiré par le réalisme feuilletonnesque de Lautréamont et prendre conscience du monde des chimères, celles qui naissent de notre imagination.
Mais que l'on ne se méprenne pas, ce n'est pas parce que les vieux lecteurs de Barbéri ne seront pas surpris de ce Crépuscule qu'il faut s'abstenir de le lire. Donc lisez-le, pour au moins trois raisons : Barbéri est un auteur nouveau, il propose un monde déjanté et fort plaisant à lire parce qu'il maîtrise un style personnel très intéressant. En effet, si le monde est délirant, l'écriture suit et certaines comparaisons ou autres métaphores vous surprendront — j'en suis sûr, même si vous connaissez le comte Hégésipe Pacôme de Champignac — au point de vous permettre de réfléchir à l'univers qu'elles mettent en valeur… et là je pense que Barbéri oublie aussi de remercier Raymond Roussel, il m'étonnerait qu'il ne l'ait pas lu. Il est vrai que cette façon d'écrire est une belle et bonne manière de lui rendre hommage.
Embarquez-vous pour Chimères !