Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003
Gregory Benford : Fondation en péril
(Foundation's fear)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Hari Seldon est un mathématicien génial, dont la théorie prédictive de l'Histoire va lui permettre — nous le savons bien, qui avons lu Asimov — de guider au-delà de sa mort les pas de la Fondation qu'il établira pour combattre le déclin de l'Empire Galactique. Ce premier volume du second cycle de Fondation [1] nous montre Seldon en universitaire renommé mais modeste, pressenti comme premier ministre d'un Empire malade, mais encore surpuissant. Il partage son temps entre problèmes scientifiques (traquer les sources d'instabilité sociale dans des modèles mathématiques très compliqués qui intègrent la théorie du chaos) et dangereuses intrigues politiques. Heureusement les robots, clandestins de l'Empire, veillent sur lui.
Mais le projet favori de Seldon est la réanimation de deux antiques personnalités simulées qui sont celles de Voltaire et Jeanne d'Arc. Elles vont s'affronter en un duel intellectuel entre Raison et Foi qui tournera bien vite à la joute amoureuse.
Benford — qui précise dans une postface son rôle de concepteur dans ce second cycle de Fondation, qui prend place dans un creux de l'histoire du futur asimovienne — n'a pas essayé d'imiter la voix d'Isaac Asimov, et le livre reflète les préoccupations de l'auteur californien : la science menacée par l'opportunisme intellectuel — il ressort de savoureuses caricatures du relativisme politiquement correct à la mode dans les sciences sociales aux USA depuis les années 80 —, et le côté brutal, presque animal, des jeux de pouvoir. Certains tics de style (comme l'usage répété du mot "gavotte"), certaines descriptions astrophysiques, sont aussi des signatures de l'auteur.
Mais Benford aborde aussi les territoires moins familiers — pour lui — du problème de la conscience des simulations informatiques, et de leur relation à la perception, nécessairement artificielle. Jeanne et ses Voix, Voltaire nourri de Newton et Descartes, sont des choix astucieux, et peut-être les personnages les plus vivants du livre, en dépit de leurs incessantes interrogations philosophiques. Ils sont assez vite conscients de leur artificialité, mais cela ne les empêche pas d'avoir envie de vivre toute la vie qui leur est désormais possible — Voltaire, surtout, qui n'est jamais à court d'un argument pour justifier la recherche de son plaisir.
Ce qui est nettement moins convaincant, c'est leur relation avec l'Empire et la Fondation. De façon générale, les continuations du cycle de Fondation — y compris celles dues à Asimov lui-même — sont une entreprise désespérée, l'évolution de la technologie depuis les années 1940 rendant invraisemblable le cadre bâti à cette époque. Transports interstellaires, ordinateurs, organisation politique, tout doit être repensé. La question générale des personnalités artificielles, robots ou simulations informatiques conscientes, est contournée par la psychologie de masse : elles sont devenues illégales. Mais Benford est moins convaincant quand il doit concilier l'oubli de la Terre d'origine avec la conservation de modèles suffisamment détaillés pour ressusciter Jeanne d'Arc et Voltaire, et donc leur environnement historique ! Ce qui le force à surexpliquer, et à tourner autour du pot, particulièrement au début du livre.
Il y a ici une accumulation d'épisodes intéressants — Sheldon doit révéler d'étonnantes capacités d'homme d'action pour venir à bout des complots qui le visent, et la cinquième partie du livre, "Panucopia", peut se lire comme un récit indépendant qui fait penser à certaines œuvres de Robert Silverberg : les dangers et les découvertes d'humains modernes qui peuvent habiter dans l'esprit de grands singes sur la voie de devenir hominidés, sur une planète sauvage. Mais l'accrétion des fragments n'a pas réussi à me donner l'impression d'un roman qui se tienne, et les détours forcés de l'intrigue ont finit par me le rendre ennuyeux.
Notes
[1] Le Second Cycle entier est une trilogie, dont les deux épisodes suivants sont dûs à Greg Bear et David Brin respectivement. J'avais lu le Bear il y a quelque temps, et il m'avait encore moins convaincu que le Benford.