Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003
Neal Stephenson : Zodiac
(Zodiac)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial
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Page de garde, le sous-titre est explicite : « thriller écologiste ». Ce n'est pas de la S.-F. Mais ça y ressemble fortement. Disons qu'il y a de la science, et de la fiction. Et qu'à un moment, fugacement, on a l'impression qu'on pourrait déraper du côté du Fantastique, avec pentacles, adorateurs de Satan, etc. : des conneries, comme on peut l'imaginer. On est du côté du Cryptonomicon plus que de celui du Samouraï virtuel. Même si le roman est déjà un peu ancien, et sans doute pas aussi abouti qu'on le souhaiterait au vu des précédents/ suivants… Mais ses quatorze ans d'âge se sentent peu, même si l'on compte sur ses doigts pour savoir quel âge peut avoir ce politicien en campagne qui était déjà fort important à l'époque du Việt Nam, ce qui est étrange, et remarquable, pour une histoire non datée, mais supposée se passer sur la crête du présent, ou dans un futur proche.
Par ailleurs, il ne faut pas se laisser impressionner par la couverture. Les couleurs, à la rigueur. Pour faire autant mal aux yeux, elles évoquent un certain nombre de colorants aux sigles avenants et aux effets supposés peu sympathiques. Quant au personnage, ses rapports avec l'histoire sont fort métaphoriques. mais peut-être aussi métaphoriquement forts. La mitrailleuse qu'il arbore n'apparaîtra pas, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas quelques flingues, quelques canardages, quelques explosifs. Et de plus en plus vers la fin. L'animal sur lequel il est juché est encore moins plausible, même si avec lui on s'ancrerait solidement dans la S.-F., puisque son format et ses pattes impliquent qu'il s'agit probablement d'un Moa, bestiole néo-zélandaise pouvant atteindre quatre mètres de haut et peser plus de deux cents kilos, disparue quelque part entre les xvie et xixe siècles. Son retour serait intéressant. On a rêvé de cloner pis que ça. Reste qu'il est absent. mais qu'il donne une nette idée de la thématique. D'autant qu'un masque à gaz fait le reste. Bref, on a affaire à un guerrier écologiste. Et ce n'est pas une mauvaise approximation.
Le dit guerrier, promu narrateur narcissique, raconte sa vie, ses démêlés avec le propriétaire de son appartement, sa propension à inhaler du protoxyde d'azote, ses méthodes pour couper la circulation en bicyclette, et son travail pour une organisation non gouvernementale, écologiste de choc, sans doute inspirée en partie de Greenpeace, avec un peu de Ralph Nader — c'était avant que ce crétin gâtifié fasse élire W. — et une forte propension à essayer de mettre en faillite les entreprises les plus redoutablement polluantes. Ce qui n'est pas ce qui semble manquer le plus à proximité immédiate du port de Boston, cadre sinon unique du moins très majoritaire de tout le livre. Au départ, s'il faut être franc, on se demande où l'auteur veut en venir. Mais on s'amuse. Si du moins on apprécie les considérations nombrilistes et les descriptions distanciées. Et ce qu'en termes techniques on appellera ici le foutage de gueule. d'aucuns se perdront un peu dans le vocabulaire, se demanderont si le groupe rock Pöyzen Böyzen existe réellement et auront peut-être besoin de s'y reprendre à deux ou trois fois avant de se rappeler ce que sont les Three Stooges — par bonheur, leurs films sont peu diffusés par ici. Éventuellement, les mêmes — pas les Stooges, quoique — pourraient se plaindre d'avoir l'impression qu'il est nécessaire de connaître Boston pour apprécier, sous le fallacieux prétexte qu'ils ne savent pas où sont Comm. Ave et Charlesgate West, ni ce que c'est, alors que ce n'est sans doute pas plus compliqué à trouver qu'Aldébaran ou Proxima Centaurii. Et ce n'est pas le fait qu'il soit question de dibenzodioxines polychlorés apparentés à des polychlorobiphényles qui devrait effrayer un lecteur de Science-Fiction, pas plus que les bactéries Escherichia coli, encore que la description de ce qui arrive lorsqu'on dézingue sauvagement aux antibios l'ensemble de celles qui ont normalement leur domicile dans vos intestins puisse être déplaisante. En termes tout aussi techniques que plus haut, on parlera ici de monstrueuse chiasse. Mais ceci, à vrai dire, n'intervient que plus tard, quand l'action est lancée. Quand on n'y croit plus et qu'on pense avoir affaire à de l'égotisme picaresque, et qu'on se résout à suivre les péripéties de la vie quotidienne d'un emmerdeur professionnel, grunge, pas franchement écolo (« menthe à l'eau ») stricto sensu disons-le, question de génération ou du moins c'est comme ça qu'il le voit, mais nanti de quelques solides principes et a priori, en particulier contre les molécules chimiques trop longues. Avec usage immodéré d'un bateau Zodiac à moteur hors bord de bonne puissance, et de plongées dans les coins du port de Boston et ses dépendances parfois construits de la main de l'homme (« égouts ») où le liquide ressemble le moins à de l'eau, c'est-à-dire à peu près partout. Et usage non moins immodéré des coups spectaculaire, des bouchages de conduites non autorisées, des effets de manche devant les caméras de télévision et — de façon générale —de tout ce qui est fortement « médiapathique ». Vengeusement.
Et puis, alors que ce ne serait déjà pas mal, et qu'on se prépare à siroter des trucs tournant un peu en rond à raison d'un chapitre par soir, en laissant échapper de temps en temps quelque chose du genre « l'enfoiré » crié entre réprobation morale et admiration jubilatoire, on en arrive à une histoire. Qui réutilise mine de rien pas mal de choses disséminées antérieurement. Avec même — il y a quelque tricherie dans ma présentation initiale — de la S.-F. Rayon génie génétique. Mais on ne va pas vous dire ici ce que c'est. Même si on peut vous indiquer qu'il y a de gros pollueurs dont un candidat à des élections, des Indiens, des poursuites, des bateaux, des explosions, des filatures foireuses, des coups de feu, des mines, des menaces, des explosifs, des homards malades — ajoutera-t-on qu'ils « m'ont tuer » ? —, du chlore, plein de chlore, des journalistes, des flics privés, un restaurant asiatique, des problèmes de peau et d'autres problèmes de santé plus carabinés voire mortels, des souvenirs du défoliant utilisé au Việt Nam, des pêcheurs d'origine irlandaise amateurs de base-ball, une simili-île constituée d'ordures, quelques satanistes, et l'ombre de la mafia. Liste non limitative et non contractuelle. Tous éléments qui devraient vous aider à vous faire une idée assez précise de l'intrigue, ou tout au moins à vous dire que c'est, toujours ce qu'en termes techniques etc., etc., on peut appeler un monstrueux et réjouissant bordel. Quitte ensuite à se rappeler que mis à part peut-être et pour un temps limité les produits du génie génétique, les saloperies déversées ne le sont peut-être pas seulement dans la fiction et dans le port de Boston. Mais ceci est une autre histoire.
Voilà. Finalement, ce doit bien être de la S.-F. Pas à cause du génie génétique, mais parce que ça parle de notre réalité. Comme c'est franchement drôle, et qu'à partir d'un certain moment non seulement il se passe quelque chose mais il se passe beaucoup de choses, toujours racontées sur le même ton fort réjouissant ou fort exaspérant — mais dans ce cas on ne peut plus rien pour vous —, on aurait tort de se priver.