Keep Watching the Skies! nº 47, août 2003
Jeff Grubb : la Bataille de Liberty
(Liberty's crusade)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Philippe Paygnard
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Michael Liberty, journaliste-vedette de la chaîne Universe News Network, est envoyé à bord du Norad II, navire de classe Béhémoth de la flotte spatiale de la Confédération de l'Homme. Il fait une série de reportages sur le quotidien des Marines de l'Escadron Alpha, l'élite des troupes confédérées. Provoqué par son rédacteur en chef, cet exil loin de Tarsonis, la ville-planète capitale de la Confédération, l'éloigne fort à propos de quelques notables indélicats qui ont mis sa tête à prix. Se retrouver ainsi au milieu des meilleurs soldats confédérés n'a rien d'excitant pour un journaliste de la trempe de Liberty, surtout en temps de paix. Mais, lorsque le Norad II se retrouve en première ligne, embringué dans une bataille impliquant des races non humaines inconnues, Liberty va devoir livrer son propre combat pour échapper à la mort. Son instinct et sa ténacité vont lui permettre de mettre à jour les sombres complots qui menacent l'espèce humaine tout entière.
Première novélisation du « célèbre jeu vidéo » (dixit la couverture), la Bataille de Liberty invite le lecteur à pénétrer l'univers de StarCraft. Ce jeu vidéo, développé par Blizzard Entertainment est un RTS (Real Time Strategy), jeu de stratégie en temps réel. Il oppose, sur de multiples champs de bataille, trois races bien différentes : les colons humains divisés, les innombrables Zergs insectoïdes et les scintillants mais énigmatiques Protoss. Le joueur doit mener, au cours de trois campagnes successives, l'une de ces races à la victoire en suivant le scénario ultra-scripté du jeu.
Pour qui connaît un peu le jeu vidéo, il n'y a rien à redire sur la fidélité du livre de Jeff Grubb vis-à-vis de son modèle. Il n'y a rien à dire non plus sur la qualité de la traduction de Paul Benita. Par contre, on peut encore une fois s'interroger sur les motivations d'une telle publication. C'est une question que je me suis déjà posée, il y a quelques années déjà, lors de la parution de DOOM : Dans les macchabées jusqu'au cou, acrobatique novélisation d'un autre grand classique du jeu vidéo. En effet, il semble évident qu'un jeu vidéo tel que StarCraft n'a pas besoin d'une novélisation pour conquérir de nouveaux adeptes. Datant de la fin des années 90, StarCraft fait partie des incontournables du jeu en réseau au même titre que Quake III Arena, Unreal Tournament ou Counter-Strike.
À moins que ce roman, tout comme la série des Resident Evil, ainsi que le WarCraft et le Diablo récemment parus au Fleuve Noir, ne fassent partie d'un vaste complot pour amener les joueurs de jeu vidéo à la lecture. En ce cas, je ne suis guère convaincu du résultat sur les hard core gamers. Ou alors, il s'agit là que d'une manifestation tardive de la synergie voulue en son temps par un certain Jean-Marie Messier puisque ce roman est publié par une filiale de Vivendi Universal Publishing, alors que le jeu est développé par un studio de Vivendi Universal Games.
N'ayant pas la réponse à cette interrogation, je me contenterai donc de constater que le roman de Jeff Grubb est éminemment fidèle à StarCraft. Il s'inspire d'ailleurs pour l'essentiel de la première campagne du jeu, consacrée aux humains, dont il conserve la plupart des péripéties et les principaux personnages. Le joueur peut ainsi retrouver le général Edmund Duke de l'Escadron Alpha, le marshal colonial Jim Raynor, Sarah Kerrigan la télépathe et bien évidemment Arcturus Mengsk, le maître de tous les complots. La seule petite infidélité au jeu réside dans l'apparition du personnage du journaliste Michael Liberty. Narrateur, mais aussi acteur, de ce récit, Liberty sert de guide au lecteur, dans un univers riche et complexe. Grâce à lui, il découvre ainsi la situation politico-diplomatique délicate de ces mondes lointains qui composent la Confédération de l'Homme : Tarsonis, Chau Sara, Mar Sar, Antiga Prime et les autres. Une situation, et ce n'est certes pas un hasard, qui n'est pas sans rappeler la géopolitique d'une planète unique et encore bleue. On croise donc sans surprise les mêmes manipulations médiatiques, les mêmes trahisons diplomatiques et politiques, ainsi que la même propension à trouver un bouc émissaire suffisamment crédible pour justifier des actes belliqueux.
Même si l'ensemble manque parfois de subtilité, et si l'humour est un peu trop rare [1], la Bataille de Liberty est bien plus qu'un petit roman d'aventure. Ce n'est certes pas un livre incontournable, mais on y retrouve quelques réflexions intéressantes sur les jeux de la diplomatie, de la politique et de la guerre. Déjà en germes dans le jeu vidéo dont il s'inspire, ces thématiques sont aujourd'hui d'une redoutable actualité.
Notes
[1] On peut cependant apprécier certains jurons du futur comme ce « Par le cigare de Clinton ! » lancé au détour d'une page.