Keep Watching the Skies! nº 47, août 2003
Jean-Michel Truong : Eternity express
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard
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Dans les Mystères d'Altaï (Fleuve noir • Compagnie des Glaces, nouvelle époque nº 12), G.-J. Arnaud appuie une partie de sa démonstration à propos de Biologisation en faisant référence à J.-M. Truong. Ma première lecture de Truong concernait le Successeur de pierre, et ne m'avait guère convaincu. Et je crois savoir que l'individu bénéficie d'une certaine cote, pour ne pas dire plus dans le milieu S.-F… Alors j'aurais dû m'efforcer d'attaquer la lecture de ce roman sans tenir compte de la quatrième de couverture. Visage de l'auteur (on suppose : la tournure « Photo d'auteur » étant ambiguë), vert sur fond vert, texte en rouge et blanc sur fond noir : l'ensemble est malheureux. Les quelques lignes de présentation jouent à merveille de l'hyperbole : « exceptionnel », « terrifiant », « machiavélique », « le pire des mondes » et « jongle avec les idées » (?) : « frontières de la S.-F. et de la philosophie », « suspense », « cri d'alarme », et cette phrase qui ne renvoie à aucune péripétie de l'intrigue : « Quand ce train arrivera à destination, vous saurez ce que vaut vraiment votre vie. ».
Alors j'ai lu avec suspicion critique…
Nous explorons le monde du roman, pour une part, à travers un train qui traverse l'Europe et la CEI pour arriver en Mandchourie ; et d'autre part, en suivant les mésaventures de Jonathan (parfait stéréotype du fils de tailleur juif avide d'argent). Le train ne transporte que des personnes âgées auxquelles l'État offre en quelque sorte une retraite dorée — à la suite d'une nouvelle loi, et d'un accord avec la société Clifford Estates. Quant à Jonathan, on apprendra qu'il a fait de la prison — on notera qu'il s'adapte au milieu carcéral comme s'il le connaissait depuis toujours — et surtout qu'il a pris le train incognito pour observer ses clients et nous informer de ce qu'il pense… Ses clients ? Oui, car Jonathan, avec son ami Xuan, est responsable de la Global Waste, et de la Clifford Estates qui, pour continuer à faire des bénéfices, doit supprimer une partie de ses clients. Figurez-vous qu'il n'y a pas dans le monde de Truong de journaliste pour soulever le lièvre des incohérences du récit. Seule la phrase citée plus haut est expliquée, dans la mesure où certains personnages doués en informatique essayent de savoir effectivement combien ils valent.
Entre André Malraux et Harry Harrison, mais sans la moindre goutte de talent. Entre cliché et bévue d'écriture : « Le train surfait dans la nuit comme sur de la poudreuse fraîche. ». Si c'est une image, j'aimerais qu'on me l'explique. On trouve aussi un « Le train dodelinait sans hâte dans l'immense nuit russe. ». Hélas, n'est pas Malraux qui veut et mettre en parallèle les trains d'ordures que l'on va répandre dans les plaines de l'Asie Centrale, et celui des petits vieux qui s'entre-déchirent, relève du B A BA de l'écrivain. Soleil vert est difficile à imiter ! Quant à la philosophie, elle se limite à des Brèves de comptoir (Gourio, chez J'ai lu).
Heureusement que ce roman ne porte pas l'étiquette S.-F. car, comme le fait si justement remarquer Philippe Curval dans le Magazine littéraire, ça n'en est pas. Et je crois même que c'est à peine suffisant à satisfaire les amateurs de Truong.