Keep Watching the Skies! nº 47, août 2003
Valerio Evangelisti : Métal hurlant
(Metallo urlante)
recueil de Science-Fiction et de Fantasy ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Ce livre recueille quatre nouvelles et un bref article, "Vie de Nicolas Eymerich", conforme à son titre : un synopsis de biographie du célèbre inquisiteur, combinant — à la manière des célèbres vidas écrites sur les troubadours les plus connus un ou deux siècles après leur mort — sources historiques — le texte donne un peu de bibliographie — et légende, due en l'occurrence à la plume d'Evangelisti lui-même — ces pages rédigées en 1998 permettent ainsi de restituer chronologiquement les sept premiers romans de la série Eymerich (seul il Castello di Eymerich n'a pas encore été traduit en français ; un huitième, Mater terribilis, a été écrit depuis et publié en 2002), ainsi que la nouvelle "Venom", incluse dans le recueil.
"Venom" est construite comme une version miniature d'une enquête de l'Inquisiteur Eymerich. Les prévenus sont déjà appréhendés, il ne reste plus qu'à continuer de les soumettre à la quaestio, ce qu'Eymerich fait avec une férocité qui, sans surprendre de sa part, ne nous est pas coutumière : c'est l'ingénieuse cruauté mentale qui est son point fort, et il en fera montre avant la fin du récit, sans craindre de s'attaquer à plus puissant que lui.
En alternance, au sein de la même nouvelle, nous suivons un autre récit situé dans le futur, où une nouvelle technologie militaire donne naissance à des monstres de métal vivant, où des cauchemars issus du vaudou se répandent sur Terre, et où le virus Marburg, s'attaquant aux parties sexuelles, force une fraction de l'Humanité à vivre avec quelques organes en métal. Le mélange du métal et de la vie est un thème qui court tout au long du recueil. À la limite, on se dit que la partie non-Eymerich de "Venom" aurait pu être incluse dans le livre comme une nouvelle séparée — manquant un peu, certes, d'intérêt indépendant. Mais, comme Van Vogt pratiquait le fix-up (concaténation de nouvelles jointoyées en un roman), et William Burroughs le cut-up (juxtaposition de phrases ou de fragment de phrases), Evangelisti est adepte d'une sorte de fix-up/cut-up, qui produit des romans à partir d'une superposition de rondelles découpées dans deux ou trois fils narratifs distincts — dans le meilleur des cas, les liens entre les différents fils apparaissent à mesure de la progression du livre. "Venom" n'arrive pas à ce niveau, mais sa construction l'apparente néanmoins à un mini-roman d'Eymerich, et il contient des renvois aux phénomènes décrits dans chacune des autres nouvelles du recueil [1]. On regrettera au passage que, dans une œuvre contemporaine, on trouve encore, même à titre d'idée conjecturale, un lien entre SIDA et homosexualité.
Métal, donc, aux côtés du vaudou et de la santeria, pour l'unité thématique du recueil ; unité de présentation aussi, avec le mot "métal" pris dans son acception musicale. Sans qu'il soit jamais question de hard rock au sein des récits, leurs titres sont tous empruntés à ceux de groupes qui œuvrent dans le genre. Metallica étant sans doute le plus connu d'entre eux.
"Metallica", la nouvelle, est à l'image de l'impression que peut produire un concert de hard rock à un auditeur non averti : “full of sound and fury, signifying nothing” [2]. Nous sommes dans ce qui a été les USA, dans un futur proche non spécifié. La population noire a été ravagée par l'anémie falciforme — que l'on retrouve dans une des aventures d'Eymerich. Une guerre civile sans pitié oppose des milices blanches et noires. Nous suivons des opérations militaires d'une extrême brutalité dans la région de La Nouvelle Orléans. Un enjeu majeur est la capture d'Ezra Washington La Croix, inventeur de l'acier réactif STZ, et donc précurseur des métaux bio-actifs que l'on retrouve dans "Venom". Mais Washington est aussi et surtout un pratiquant du vaudou, ce qui en fait le rempart des armées noires — sans qu'il puisse empêcher un massacre.
Engagé et plus intéressant, "Sepultura" se passe au Brésil (pays d'origine du groupe de death metal éponyme). L'image de S.-F. autour de laquelle le texte est bâti, est celle de ces détenus dont les corps sont tous soudés en dessous de la ceinture par une colle “cyanoacrilique”, dans la prison de Sepultura. Le moteur dramatique en est, au-delà des images ressassées de répression et de révolution, la relation entre deux frères qui ont choisi respectivement la guérilla et les escadrons de la mort. Mémorable, même si la conclusion est plus faible.
"Pantera", enfin, se place dans le même Ouest sauvage américain que la moitié de Black flag (un autre de ces romans fix-up/cut-up d'Evangelisti dont ciseaux et colle, fût-elle cyanoacrylique, n'arrivent pas à faire une créature unique), avec le même personnage central (Pantera, qui pratique le Palo Mayombe, religion aux accents de sorcellerie née du syncrétisme entre culture mexicaine et apports des esclaves caribéens), bref, un vaudou mexicain. Pantera est aussi le protagoniste majeur de Black flag, dont les événements se situent plus tôt dans sa carrière, à la fin de la Guerre de Sécession. Ici, il est appelé pour protéger un village isolé du Texas de dix cavaliers de cauchemar qui se présentent sous forme de statues géantes prêtes à s'ébranler pour tout écraser. Il doit d'abord élucider le lourd passé de l'endroit — ce qui le conduit à mettre en cause son commanditaire, et toute la population, en fin de compte. On se rappellera des actions de Nicolas Eymerich à Castres (le Corps et le sang d'Eymerich). On notera aussi l'aspect christique du protagoniste (sa transfiguration finale, son goût pour la compagnie de ceux qui sont méprisés de tous, en particulier les prostituées). Si l'on ajoute que l'aspect “enquête”, la révélation progressive de l'horrible réalité, est particulièrement bien maîtrisé, on comprendra que j'en vienne à penser que ce texte à lui seul justifie l'achat du recueil, et donne envie de lire d'autres exploits de Pantera, plus intéressants que ceux rapportés dans Black flag.
Mais n'oublions pas l'apport de "Venom" et de "Vie…" au canon eymerichien. Bref, utile addition à la bibliothèque des fidèles.
Notes
[1] L'édition originale de la nouvelle comportait un épilogue d'une page environ, qui n'a pas été reprise dans l'édition française.
[2] Pour reprendre une citation tellement connue que je ne sais plus de quelle pièce de Shakespeare elle est tirée.