Keep Watching the Skies! nº 48, janvier 2004
Claude Ecken aime à fouiller les archives pour retrouver les squelettes dans les placards de l'Histoire : pour un exemple récent, voyez son scénario de bande dessinée sur la peste de Marseille au xviiie siècle (Hors collection • le Diable au port). Ici, le récit prend son point de départ à la Libération (curieusement datée de 1945 dans le livre ; peut-être se déroule-t-il en Alsace, aucune indication de lieu n'est donnée), moment de joie, mais aussi de sanglants règlements de comptes. Clément a fait de la résistance, mais son frère cadet a été déserteur, et ses sœurs ont couché avec l'occupant : les parents disparus, l'aîné, mu par la honte, décide de cacher toute la fratrie dans une maison des environs. Vivant du produit de loyers d'appartements, faisant livrer leur nourriture, ils s'enferment pour un huis clos dont la durée fait frôler au livre les lisières du fantastique : elle se mesure en années.
Déjà marqués par les violences subies lors de leur vie précédente, les quatre protagonistes s'enfoncent dans la folie et la violence, en révélant progressivement leurs secrets les plus abominables.
Même si ses prémisses peuvent manquer de vraisemblance, le récit s'achemine avec une rigueur impitoyable vers la catastrophe, en passant par les coups, les viols, les tortures, et jusqu'à un assassinat d'enfant…
Je l'avoue, j'ai eu du mal à terminer ce livre ; et peut-être n'aurais-je pas dû l'ouvrir, sachant ne pas avoir l'estomac pour ce genre d'entreprise littéraire. La fascination devant la déchéance humaine ne me séduit guère, et ce roman suit sa voie sans surprise — ce qui ne veut pas dire qu'il faille reprocher à Claude Ecken d'avoir tenté l'expérience, ou ne pas l'admirer pour l'avoir menée à son terme. Question de goût.
J'adresserais néanmoins quelques reproches techniques à ce livre. Tout d'abord, la présence de scènes de sexe et de violence qui, par leur côté grandguignolesque, affaiblissent relativement le malaise purement psychologique créé par la dégradation continue de la vie des quatre enfermés. Si ce livre se trouvait être le résultat d'un manuscrit longtemps resté dans les tiroirs, on pourrait penser qu'il a été pensé pour se glisser parmi les livraisons de la défunte collection "Gore" du Fleuve noir — par rapport auxquelles il n'aurait pas eu de mal à briller, puis-je conjecturer. Et en ce qui concerne la psychologie elle-même, j'ai décelé par moments des ruptures de ton gênantes. Plus précisément, un passage du point de vue intérieur des protagonistes, exprimé nécessairement de façon fruste, à un point de vue extérieur, explicatif, clairement exprimé dans le langage intellectuel de l'auteur. Une rupture encore plus flagrante — à mon sens — se produit dans la scène finale de conversation de bistro ; je sais qu'en littérature, les dialogues sont artifice et non transcription de la bande-son de la vie, mais il y a des conventions à respecter…
Au total, une idée sympathiquement perverse, une expérience menée à bout en dépit de petites défaillances d'exécution, et un livre à ne pas recommander à tout le monde. Mais à noter.