Keep Watching the Skies! nº 49, juillet 2004
Alain Delbe : le Complexe de Médée
recueil de fantastique ~ chroniqué par Philippe Paygnard
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En vingt textes, le Complexe de Médée et autres contes fantastiques présente toute l'étendue et toute la diversité des univers fantastiques d'Alain Delbe. Surprenant, morbide, décalé, irritant, incompréhensible, humoristique, surréaliste, aussi divers soient-ils tous ces termes peuvent qualifier le style que ce nouvelliste et romancier hors norme déploie pour faire pénétrer le lecteur dans quelques-uns de ses mondes étranges. Des univers solidement ancrés dans le quotidien qui dérivent rapidement à la frontière du réel et de quelque chose d'autre, quelque chose d'indéfinissable, d'effrayant ou de fascinant.
Ouvrant le bal, "le Complexe de Médée" serait certainement qualifié de novella aux États-Unis. En France, ce texte appartient à cette catégorie hybride qui permet tout aussi bien de le désigner sous le terme de court roman ou bien de longue nouvelle. C'est pourtant le format idéal pour prendre le temps de présenter des personnages attachants, tels que Catherine et son fils Julien, les rendre réels et complexes, avant de les précipiter vers une fin qui n'a rien de naturel. Le récit d'Alain Delbe fait ainsi se percuter le réel d'une cellule familiale unie avec le surnaturel d'une présence démoniaque qui se manifeste dans un cimetière de campagne. À ce cocktail bien connu, qui pourrait faire de Delbe le digne héritier de Claude Seignolle, le nouvelliste ajoute sa touche personnelle grâce au complexe de Médée du titre qui entraîne le lecteur sur les énigmatiques terres de la psychanalyse. Car ce qui fait tout l'intérêt de cette histoire de possession diabolique, en apparence fort classique, c'est bien ce mélange de genres. Un cocktail soigneusement dosé par Alain Delbe qui fait intervenir le réel, le surnaturel et le psychologique (sans le para).
Si la rencontre inattendue du quotidien le plus banal avec un élément surnaturel est à la base de plusieurs des textes d'Alain Delbe, certaines nouvelles relèvent quasiment du surréalisme au sens artistique du terme. C'est le sentiment immédiat qui surgit à la lecture des "Guêpes" où le lecteur ne peut que perdre pied dans ce récit qui quitte rapidement le réalisme d'un monde campagnard pour entrer dans une dimension dominée par l'irrationnel et l'incroyable, sans aucune règle, ni aucune logique, sauf celles dictées par l'auteur. Texte déstabilisant au possible, "les Guêpes" est également celui qui donne son titre à l'ensemble des dix-neuf nouvelles qui viennent compléter le court roman qu'est "le Complexe de Médée".
Après avoir lu "le Complexe de Médée" et "les Guêpes", on se rend compte qu'Alain Delbe ne laisse guère d'espoir à ses héros. Pour eux, la mort est souvent au rendez-vous. Cela ne veut pas dire pour autant que les nouvelles de Delbe soient tristes, désespérantes ou dépourvues d'humour. Car cet auteur pétri de contradictions parvient à faire rire ou sourire le lecteur tout en entraînant ses personnages sur une voie qui risque de leur être fatale. À la manière de Fredric Brown, il sait ainsi parfaitement marier humour et brièveté comme on peut le voir dans le très court récit intitulé "une Nuit de terreur". Avec un sens inné de la chute, il distille également quelques récits aussi percutants que "la Messe de minuit" ou "Propriété privée".
Cependant, c'est une autre forme d'humour qu'il déploie en signant, en lieu et place de Cervantès, "une Aventure de Don Quichotte" omise par son biographe. Il peut arriver que Delbe dépasse les limites du bon goût, surtout lorsqu'il fait de la nécrophilie le thème central de "Momie blues", mais il parvient sans peine à ne pas sombrer dans le gore ou l'illisible grâce à son humour décalé et à son écriture tout en finesse.
Par leur variété, les vingt textes du Complexe de Médée et autres contes fantastiques permettent de constater qu'Alain Delbe est bel et bien un auteur impossible à cataloguer. Véritable alchimiste du fantastique, il réussit des mélanges qui peuvent tout aussi bien entraîner le lecteur au plus profond de l'horreur et de la terreur que faire naître en lui et progresser une indéfinissable sensation de malaise, tout en le faisant rire ou sourire. Présentant en un seul volume une sélection de textes publiés çà et là au fil des ans [1] , le Complexe de Médée et autres contes fantastiques offre donc une occasion unique de découvrir ou redécouvrir quelques-unes des multiples facettes de ce nouvelliste et romancier inclassable qui mérite le détour.
Notes
[1] Les nouvelles qui composent ce recueil ont été publiées dans des anthologies, revues ou fanzines aussi variés que Noires sœurs ("le Baiser du sphinx", 2002), Ténèbres 2000 ("Momie blues", 1999), Fluide glacial ("une Nuit de terreur", 1984), Thriller ("Eddy", 1980), Phénix ("une Aventure de Don Quichotte", 1986), Ténèbres ("les Guêpes", 1990), Faeries ("les Trois fils du shogun", 2002), Hauteurs ("Aïkido", 2003), Dragon et microchips ("Propriété privée", 1980), Marmite et micro-onde ("le végétarien", 2001), …