Keep Watching the Skies! nº 50, janvier 2005
Roger Faligot : le Peuple des enfants
roman fantastique et de Science-Fiction pour la jeunesse
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Grâce à un livre magique, un collégien nantais et sa cousine cajun, plus la déesse égyptienne Bastet rencontrée assez vite, et bénéficiant parfois de l'aide d'un crocodile parlant, voyagent à travers l'histoire du monde, dans un ordre d'ailleurs tout à fait chronologique. Ce pourrait être convenu et didactique, et certaines fiches le sont, héritées des manuels d'autrefois ou des “le saviez-vous”, depuis le renard dévorant les entrailles d'un petit Spartiate qui refuse de se plaindre jusqu'à l'origine du Teddy Bear. En passant par Baden-Powell. Bref, un prétexte fantastique permet à l'auteur de nous faire le coup des « plus belles histoires de l'oncle Paul ». Moins les dessins. Avec quelques intermèdes dans le présent, parce que pendant que les mômes baguenaudent dans le passé, leurs parents peuvent s'inquiéter qu'ils ont des fréquentations potentiellement dangereuses, à commencer par le vieil homme chez qui ils ont trouvé le fameux livre, et qui a peut-être bien dù avoir des ennuis avec les forces de l'ordre de notre cher pays, quelques dizaines d'années plus tôt — les dossiers ne se perdent pas. Et on finit par de la Science-Fiction, un peu façon feuilleton télévisé, mais on ne fera pas trop la fine bouche, et puis cela peut montrer que le volume a sa place dans KWS.
Cela dit, la plupart du temps, si on est toujours dans le didactisme, on s'éloigne quelque peu du style « oncle Paul » avec l'essentiel des épisodes présentés. En fait, il s'agit bien souvent de montrer des enfants enrégimentés, enlevés, transformés en chair à canons, à plaisirs ou à usine, de l'Égypte antique aux bidonvilles d'Amérique latine et à quelques intégristes, soudanais pour l'occasion, ainsi qu'au 11 septembre 2001. En passant par la croisade dite des enfants ou par le peintre François Boucher peignant au xviiie siècle « le plus joli petit cul du royaume », non pas le premier enfant transformé en objet sexuel bien entendu, mais le premier de l'histoire de la peinture à l'huile, à en croire le texte. Plus un tas d'autres joyeusetés, dont le vampire de Düsseldorf, le siège de Léningrad, les fusillés de Chateaubriand, les trains à sens unique emmenant en particulier des enfants vers “Pitchipoï” et parmi eux Anne Frank, la guerre du Việt Nam et l'usage de l'agent orange — non ce n'est pas de la publicité —, la “révolution culturelle” chinoise, le Cambodge des Khmers rouges. Plus des choses désagréables mais moins dramatiques, comme la vie de Walt Disney et ses sympathies vert-de-gris. Plus des choses et des gens que l'on trouvera indiscutablement sympathiques (comme les jeunes allemands antinazis du réseau de la Rose blanche, ou Martin Luther King) ou à des titres divers plus ou moins fortement sympathiques selon qu'on est plus ou moins proche des opinions de l'auteur, révolte irlandaise de Pâques 1916, le docteur Spock (pas Leonard Nimoy, faut-il le préciser ?) et l'école de Summerhill, l'intifada vue du côté du mouvement israélien “La Paix maintenant”, etc. Ajoutons un personnage oublié, mais pas de l'auteur, Jean Cremet, Breton compagnon de Bonnot, ponte du PCF naissant, réputé mort et, ayant ainsi échappé à Staline, commençant une seconde carrière historico-politique entre le Malraux de l'Espoir et la Résistance (Roger Faligot & Rémi Kauffer : As-tu vu Cremet ?. Paris : Fayard, 1991). Il ne s'agit bien entendu là que d'un échantillon, car le volume et épais et chaque épisode est toujours bref.
Pour qu'il y ait une histoire, s'y ajoute, débouchant d'ailleurs sur l'épisode science-fictionnesque déjà évoqué et non raconté, la présence d'un ennemi mystérieux, toujours semblable à lui-même au fil des siècles et des rôles, qu'il soit inquisiteur, membre du Guépéou ou nazi… Reste que l'histoire disparaît souvent sous la fresque historique et le panorama didactique. Qui ferait rétro, comme d'ailleurs l'illustration de couverture, si le propos n'était pas vraiment de ceux que l'on destinait aux enfants dans les années 1950 ou 1960 : on aura compris à ce qui précède que cette histoire-là n'est pas vraiment édulcorée ad usum delphini.