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Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Michael Crichton : la Proie

(Prey)

roman de Science-Fiction

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chronique par Philippe Paygnard

Informaticien de talent, Jack Forman travaillait dans la Silicon Valley jusqu'à ce qu'il soit viré comme un malpropre pour avoir surpris quelques-unes des étranges pratiques de son employeur. Désormais il partage son temps entre la recherche d'un emploi et les travaux domestiques d'une maisonnée de trois enfants. C'est son épouse, Julia, qui apporte l'indispensable contribution financière à la vie familiale en travaillant dans une société high-tech sur des projets top secret en rapport avec la nanotechnologie. Alors que Jack commence à se faire à cette vie d'homme au foyer et de père à plein-temps, il s'inquiète des sautes d'humeur de plus en plus fréquentes de sa femme, ainsi que de ses absences de plus en plus longues du domicile familial. Même s'il sait que son épouse occupe un poste à responsabilité au sein de la société Xymos, il se met sérieusement à suspecter la possibilité d'une aventure extraconjugale. Il ne sait que faire jusqu'à ce que son ancien employeur le contacte pour assurer le service après-vente d'un des logiciels qu'il a conçu et dont Xymos a fait l'acquisition. Malgré quelques réticences bien naturelles, Jack accepte cette mission qui pourrait lui permettre de comprendre l'étrange comportement de Julia.

Bien que portant le label Thriller, ce roman de Michael Crichton comporte suffisamment d'éléments d'anticipation et de prospective scientifique pour intéresser le lecteur de S.-F. que je suis. Certes, on peut reprocher à Michael Crichton d'employer toujours les mêmes ficelles. Comme dans Harcèlement, le protagoniste connaît une situation de crise dans son couple. Comme dans Jurassic park et dans Prisonniers du temps, l'utilisation sans garde-fou de technologies potentiellement existantes ou restant à découvrir risque de provoquer une catastrophe planétaire. On peut reprocher tout cela à Michael Crichton, mais cela n'empêche pas ce récit, très certainement pré-formaté pour Hollywood, d'être assez bien conçu pour que l'on s'interroge sur les risques d'une science sans conscience. Quant à l'appât du gain qui anime les sociétés Digicom, Ingen, ITC ou Xymos et les conduit à prendre des risques inconsidérés avec des technologies innovantes, il n'est pas sans rappeler les excès bien réels de multinationales sans cœur baptisées Enron, Worldcom, Vivendi Universal ou autres.

L'amateur de S.-F. plus classique peut également voir le livre de Michael Crichton comme un véritable hommage — peut-être inconscient ou même tout à fait involontaire — à un grand classique du genre.

En effet, lorsque Jack Forman et un groupe de chercheurs de Xymos se retrouvent coincés dans une usine perdue en plein désert du Nevada, harcelés par un essaim de nanites protéiforme, la situation n'est pas sans rappeler celle de la nouvelle de John W. Campbell (1910-1971). En effet, dans "la Bête d'un autre monde"1, les membres d'une expédition polaire, coincés dans un désert de glace, sont harcelés et décimés par une forme de vie inconnue. Certes, d'un côté, l'assaillant est d'origine extraterrestre, alors que de l'autre il est créé par la folie des hommes, mais, dans les deux cas, le lecteur en vient à s'interroger sur l'intelligence de cette chose. S'agit-il d'une intelligence animale simplement guidée par l'instinct du prédateur ou bien n'est-ce pas là le remplaçant d'une humanité qui pourrait être arrivée au bout de son voyage.

Best-seller par nature, la Proie de Michael Crichton n'en reste pas moins un roman d'anticipation fort convenable qui utilise, comme les précédents opus de l'auteur, un sujet à la mode, ici la nanotechnologie, et extrapole, avec plus ou moins de réalisme, les conséquences les plus sombres, comme la naissance d'une intelligence artificielle concurrente pour l'espèce humaine. L'ensemble fonctionne parfaitement, mais se vendrait sans doute beaucoup moins bien si quelqu'un avait l'idée saugrenue de remplacer le "Thriller" en couverture par les lettres S.-F.

Notes

  1. Au sommaire du recueil le Ciel est mort. Ce texte a déjà été adapté deux fois au cinéma par Christian Nyby & Howard Hawks en 1951 et par John Carpenter en 1982.